Casablanca Chandigarh : bilans de la modernisation. La ville, comme laboratoire vivant de la modernité
Comment deux Européens, Michel Écochard et Le Corbusier, ont traduit à Casablanca et à Chandigarh leur vision de la cité moderne, à un moment de l’Histoire où sonnait le glas du colonialisme européen.
Disponible au Centre Canadien d’Architecture (CCA), le catalogue intitulé Casablanca Chandigarh : bilans de la modernisation propose un éclairage complémentaire à l’exposition Comment les architectes, les experts, les politiciens, les agences internationales et les citoyens négocient l’urbanisme moderne : Casablanca Chandigarh, en cours jusqu’au 20 avril 2014. L’on explore sous forme de récit documentaire, ou de « conte » pour reprendre le terme des commissaires Tom Avermaete et Maristella Casciato, qui signent également les textes du catalogue préfacé par Mirko Zardini, directeur du CCA, le processus de modernisation : la (re)planification du développement urbain à Casablanca et la création d’une nouvelle capitale, Chandigarh. Pour rappel, en pleine guerre froide, l’ONU élargit son rayonnement, notamment par la mise en œuvre d’échanges d’experts transnationaux et d’une assistance technique aux pays « tiers-mondistes ».
Abondamment illustré de reproductions de documents de l’exposition, l’imposant catalogue fait aussi la part belle à l’écrit. L’interprétation critique des auteurs, d’un point de vue urbanistique et architectural certes en filigrane, est néanmoins révélatrice des sensibilités humaines, à une époque en proie à de vives tensions politiques, sociales et économiques. Le ton parfois teinté d’humour colore l’exposition d’une note plus personnelle. Ainsi, à la lecture des biographies, des notes et des références exhaustives, on découvre le tempérament des principaux protagonistes, notamment Michel Écochard et Le Corbusier, dont les comportements traduisent leur façon d’appréhender la mission qui leur incombe face à de lourdes contraintes administratives, à l’autorité des pouvoirs en place (la correspondance de Le Corbusier avec le premier ministre indien Jawaharlal Nehru est par moments pour le moins intempestive), avec les membres européens et locaux de leur équipe respective, et les conséquences sur les populations locales.
Se réapproprier l’habitat
Le choix de ces cités, certes très différentes l’une de l’autre, repose sur le fait qu’elles ont constitué un précédent, en ce sens qu’elles ont servi de terreau à une nouvelle façon de planifier le développement urbain de toute ville en émergence, en prenant notamment en compte la culture locale et le climat. Il s’agit d’œuvres collectives, rappellent les commissaires, qui ont voulu souligner dans l’exposition le caractère inédit alors de la collaboration avec les communautés indigènes et leur propre savoir-faire.
Au Maroc, dès 1944, les soulèvements populaires accélèrent le processus de modernisation au sein du Protectorat français, pour qui l’urgence est d’intégrer les bidonvilles dans le tissu urbain de Casablanca, en pleine explosion démographique. Entre en scène, à la fin des années 1940, l’urbaniste Michel Écochard, anthropologue et architecte de formation, qui tient mordicus à réaliser ses « enquêtes » au sein du territoire et parmi la population, indispensables selon lui pour établir la grille « Habitat pour le plus grand nombre », faisant de la vie quotidienne des habitants le centre de ses préoccupations. Ses photographies et ses actions sur le terrain et du haut des airs témoignent d’un personnage tout à fait contemporain.
Dans l’Inde indépendante depuis 1947, la partition ouest du territoire mène à la naissance de Chandigarh, nouvelle capitale du Pendjab. Pour soutenir sa politique de modernisation du pays, Nehru souhaite en faire le symbole de l’Inde moderne. Par un concours de circonstances qui lui sont favorables, l’architecte Le Corbusier obtient le mandat. On découvre, à travers ses croquis et ses notes, son exaltation à l’idée de planifier une ville entière et son appréciation du paysage, qu’il explore en compagnie de son cousin Pierre Jeanneret, l’architecte principal auprès du gouvernement. Le plan directeur est rapidement élaboré, selon les « 7V », les sept voies de circulation ; la septième (V7) – les voies piétonnières bordées de végétation – n’est pas sans évoquer le souvenir du paysage et une âme indienne en communion profonde avec la nature.
Vivantes, les villes se transforment, elles aussi. Casablanca et Chandigarh ont-elles su évoluer de façon harmonieuse ou chaotique ? Prises en 2013, les photographies saisissantes de Yto Barrada pour Casablanca et de Takashi Homma pour Chandigarh laissent le soin au visiteur de formuler sa propre réponse.
COMMENT LES ARCHITECTES, LES EXPERTS, LES POLITICIENS, LES AGENCES INTERNATIONALES ET LES CITOYENS NÉGOCIENT L’URBANISME MODERNE : CASABLANCA CHANDIGARD
Centre Canadien d’Architecture, Montréal
Du 26 novembre 2013 au 20 avril 2014