La connaissance d’une œuvre d’art et la lecture qu’elle appelle découlent de la vision globale que l’on porte sur elle, vision qui permet à chacun d’en mesurer l’esprit et la portée, mais aussi de percevoir le je-ne-sais-quoi qui dynamise la représentation qu’elle propose et qui progressivement la nourrit.

La récente exposition de Charles Lemay défend et illustre cette double trajectoire tissée à la fois de constances et de surprises.

Une première tranche de l’aventure artistique de Charles Lemay couvre plus de 20 ans de création et constitue la trame sur laquelle l’artiste greffe les temps forts, voire percutants, qui jalonnent sa longue marche. Le besoin d’exprimer un propos qui lui soit propre marque en premier lieu une forme d’expression qu’il a peine à bien articuler. Ce départ difficile a failli réduire l’artiste au silence. Mais par bonheur, armé d’une grande détermination, il a su surmonter ses hésitations et, avant même de s’y engager, baliser les chemins qu’il entendait emprunter. Cette impulsion initiale lui sera profitable puisqu’il en tirera un apprentissage libre de toute contrainte esthétisante.

Charles Lemay doit sa spontanéité expressive à sa formation auprès du frère Jérôme, dont l’enseignement était notamment basé sur l’absence de coercitions normatives. Au cours de ses premières tentatives, Lemay éprouve d’abord le besoin de concentrer son propos sur une iconographie principalement axée vers la représentation du corps humain. Chez lui, la stylisation rigoureuse des formes fait force de loi. Cette orientation sera modulée par la souplesse de la ligne et, par la suite, par le traitement des coloris.

Il n’hésite pas, par exemple, à camper des figures dont il déforme les traits et qu’il affuble d’une peau bleue.

Sa peinture devient progressivement chez lui objet de réflexion sur le langage plastique, tant au sens propre que figuré, cet exercice se voulant le champ de toutes les expériences. Une rigueur première laisse néanmoins place à une souplesse d’exécution qui permet à l’artiste d’élargir et d’intensifier la saisie de la réalité qu’il traduit. Il aborde notamment le thème du corps humain à travers différentes variantes du schéma corporel, qui demeure son sujet de prédilection.

Dans des espaces tronqués qui pourraient être assimilés à des décors de théâtre, il met en scène des personnages dont la tête et les membres sont dessinés au pastel gras à même le fond blanc de la toile. Quant à leur corps, il est vêtu d’une robe d’un rouge qui évoque sans doute le sang du mouton dont ils transportent la tête.

Son approche particulière tire son intérêt, non du caractère descriptif du propos, mais d’une sorte de rendu presque minimaliste. Charles Lemay conjugue d’abord des touches successives en blanc et noir qui délimitent un espace flou, dont l’effet dynamique ouvre l’étendue ainsi proposée à toutes les interprétations.

Il ne s’en tient pas là et introduit un jeu surprenant dont le caractère inattendu soutient la cohésion et confère son unité à l’œuvre. La conscience de la réalité du corps, sa constante remise en cause inventent dès lors un aller-retour permanent entre l’existence de notre propre corps et la perception que nous nous en donnons. 


CHARLES LEMAY ŒUVRES CHOISIES
Maison de la culture Rosemont-La Petite-Patrie, Montréal
Du 4 avril au 17 mai 2014