Comme si c’était la première fois…
Aquatiques, rocailleux, bucoliques, panoramiques, agressifs, tendres, ludiques, polaires, tourmentés, torrides, flous, azuréens, les Territoires imaginés par les artistes de la Collection Loto-Québec offrent une gamme de sensations infinies à tous ceux qui les observent.
Sous le thème Territoires imaginés, titre d’une photographie de Georgia Volpe, Louis Pelletier a réuni 67 œuvres tirées de la Collection Loto-Québec dont il est le conservateur.
Il serait commode de considérer les œuvres sélectionnées comme des paysages. Certaines, en effet, se qualifient clairement comme tels. Cependant, la plupart dépassent cette classification. C’est d’ailleurs l’un des charmes et l’une des particularités audacieuses de l’exposition. Aussi, à l’idée un peu générale de paysage, conviendrait-il de substituer la notion d’espace. Dès lors, les peintures et, dans une certaine mesure, les sculptures exposées expriment la relation à l’espace dont témoignent les artistes. Sous ce rapport, le visiteur, en adoptant le point de vue de l’artiste, pourrait retrouver des sensations que suscite tout paysage (vertige, sérénité, émerveillement, peur) et dialoguer avec l’image qui lui est proposée.
En faisant un premier tour de l’exposition, le visiteur ne manquera pas de remarquer la considérable variété des tableaux et des quelques sculptures (format, style, traitement des sujets), ainsi que la maîtrise technique des médiums employés : pastel, gouache, acrylique, huile, photographie, mixages divers.
En revenant sur ses pas, le visiteur va pouvoir apprécier comment chacun des artistes réussit à affronter l’espace : celui de son tableau et celui du territoire. Le résultat est passionnant. D’une part, l’espace est matérialisé par des environnements concrets : l’atelier, la maison, le jardin, le quartier, des montagnes, des plaines, des lacs, des rivières, des forêts, des plages en bordure de mer… D’autre part, l’espace se définit comme abstrait, soit qu’il est non matérialisé par des lieux familiers (villes, campagnes, bâtiments) donc détachés du paysage ou du territoire, soit qu’il est de pure création : taches de couleurs, grilles, figures géométriques.
Abstraits ou figuratifs, les tableaux de l’exposition ont pour dénominateur commun les territoires imaginés. En ce sens, ils ne constituent jamais des imitations de lieux précis. S’ils peuvent être perçus comme des commentaires artistiques picturaux ou sculpturaux des endroits appréhendés par les artistes, ils en sont souvent des interprétations parfois si éloignées de l’image d’origine qu’il vaut mieux parler d’inventions. Ce constat justifie bien le titre, Territoires imaginés, donné par Louis Pelletier à l’exposition.
Il est important de souligner que certaines œuvres – sept ou huit – basculent dans la fiction en proposant des vues de territoires imaginaires. Elles ouvrent l’exposition. À l’exception du paysage de Judith Berry et de la vue intérieure de Martin Bureau qui sont figuratives, les œuvres qui se rangent dans cette catégorie, soit celles de Sébastien Worsnip, Martin Bourdeau, Martin Bureau, René Derouin, Gorgia Volpe et que rejoignent, au cours du circuit, celles de Jean-François Lauda et Louise Boisvert, sont abstraites.
La plupart des autres tableaux prennent appui sur des lieux que le visiteur pourrait considérer comme « réels » puisqu’ils font référence à des espaces géographiques facilement identifiables : escarpements rocheux, cratères, sillons de terres cultivées, vallées embrumées, immeubles urbains… L’intérêt de ces pièces tient au traitement de l’espace qu’effectue l’artiste. De manière arbitraire, car il est impossible de toutes les citer : L’indécis, photographie d’Yves Médam, déstabilise le regard en scindant ou en dédoublant un immeuble au milieu de l’indifférence des passants ; Paysage amorcé, huile sur toile de Rafael Sottolichio, donne l’illusion que le paysage se déplace devant l’observateur ; Small Whirl, huile sur bois d’Anne Ashton, suscite un sentiment de frayeur devant la tornade qui s’approche ; Nous agitons la mer, médium mixte sur toile d’Agnès Riverin, provoque une impression de défi devant les remous océaniques ; Région arctique, technique mixte sur papier d’Arnold Zageris, caresse les yeux séduits par le chatoiement des couleurs, mais déclenche aussi le frisson devant la verticalité abrupte de l’image.
L’exposition ménage enfin une place à des œuvres d’artistes qui sont des précurseurs de la modernité québécoise : Philip Surrey, Albert Dumouchel, Frederick Bouchier-Taylor, Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté.
On ne saurait trop recommander la visite de l’exposition Territoires imaginés, qui présente avec virtuosité et pertinence 67 façons originales d’observer autour de soi la rue, le ciel, les maisons, les champs, une rivière comme si on les regardait chaque fois pour la première fois.
TERRITOIRES IMAGINÉS par les artistes de la Collection Loto-Québec
Commissaire : Louis Pelletier
Espace Création Loto-Québec, Montréal
En prolongation jusqu’au 18 août 2013
Centre culturel de l’Université de Sherbrooke
Du 15 janvier au 22 février 2014
Musée d’art contemporain des Laurentides de Saint-Jérôme Ddu 30 mars au 8 juin 2014