Dans le titre de l’exposition estivale et automnale phare du Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, il y a un nom magique, un nom qui a lui seul déplace les foules. Ce nom, c’est Picasso bien sûr. Mais il y a un nom mystérieux aussi : Fenosa. De celui-là, peu de gens ont entendu parler. Pourtant, il est intimement lié à celui du plus célèbre artiste du XXe siècle. Le lien, c’est leur amitié. Elle s’est étendue de 1923 à 1973, soit sur un demi-siècle ! « Leur rencontre, explique Clément Paquette, co-commissaire de l’exposition Fenosa-Picasso : une amitié, a eu lieu à Paris par l’intermédiaire du peintre catalan Pere Pruna. » Ce jour-là, Picasso a demandé à son interlocuteur âgé de 24 ans de lui apporter les sculptures qu’il s’était vanté d’avoir exécutées : il voulait les voir. Le jeune homme a bien été forcé d’en réaliser quelques-unes pour les montrer, quelques jours plus tard, au maître qui lui en a acheté une. D’inspiration traditionnelle, elle est exposée sous vitrine en compagnie d’une douzaine d’autres où l’on perçoit l’évolution du jeune artiste dont on suit la rapide progression, sans doute influencée par les commentaires de son aîné. Elles font partie des quelque 150 œuvres qu’au fil des années de leur amitié Picasso a progressivement rassemblées.

Cette exposition, constituée de 114 pièces dont 24 de Picasso, est l’aboutissement d’une aventure dont Clément Paquette rappelle volontiers le point de départ : « Tout a commencé par ma rencontre avec Nicole Fenosa en 2004 à Paris. C’est elle qui m’a fait découvrir les œuvres de son mari, décédé en 1988. » Le projet de monter une exposition a très lentement germé. Pour tout dire, il n’a bénéficié qu’à partir de 2015 de l’indispensable concours de la Fondation Apel.les Fenosa (située à El Vendrell, non loin de Barcelone) et de Josep Miquel Garcia, son directeur, relayés par les établissements culturels appropriés et les instances administratives de Catalogne et du Québec.

Il était difficile de se limiter à des pièces de Fenosa. L’artiste est trop méconnu pour attirer sur son seul nom un large public. Mais ce n’est pas trahir la vérité de son œuvre que de montrer qu’elle s’est nourrie des relations que l’artiste a entretenues de manière épisodique, mais dans certains cas durable, avec ses contemporains, et en particulier avec Picasso dont « la collection privée, souligne Josep Miquel Garcia dans le catalogue de l’exposition, compte plus de sculptures en bronze de son ami Apel.les Fenosa que de tout autre artiste ».

L’exposition présente donc l’histoire d’une amitié qui s’est élargie et qui a gagné le cercle d’artistes que fréquentait Picasso : Gabrielle Chanel, Dora Maar, Gala, Tristan Tzara, Man Ray, Brassaï, Max Jacob, Nusch Éluard, Paul Éluard, Jean Cocteau, Jean Marais… Ainsi, les pièces présentées (dessins, affiches, photos, lettres, esquisses, bustes) dialoguent entre elles et restituent quelques moments singuliers, drôles ou émouvants, qui donnent une idée de l’atmosphère d’entraide, voire de fraternité, qui unissait ces figures de la vie artistique dont les œuvres jalonnent le XXe siècle.

Les diverses sections se succèdent un peu comme les épisodes d’un roman. Voici « la tête de Dora Maar » (1941). Le visage affiche une certaine hauteur. L’on apprend que le socle a été réalisé « à quatre mains » : les empreintes de doigts sont celles de Picasso et de Fenosa. Plus loin, voici l’un des bustes les plus célèbres de Jean Cocteau : à sa gauche, une réplique miniature qui ne quittait pas Jean Marais, à sa droite le buste en miniature de Jean Marais. Et puis, le profil de Paul Éluard, dessiné et immortalisé par Picasso, précède le buste du poète par Fenosa et une note manuscrite, brouillon d’un poème.

Cette exposition restitue ainsi avec finesse dans leur richesse et leur complexité des moments de l’histoire de l’art du XXe siècle, en mettant en évidence le rôle d’acteurs dont on ne soupçonne pas l’action déterminante. À commencer par Apel.les Fenosa dont il serait judicieux d’approfondir la portée des relations d’amitié et la place des créations.

Une telle exposition mérite d’être visitée par un public beaucoup plus large. Comment ne pas penser que le Musée des beaux-arts de Montréal pourrait très facilement l’accueillir ? 

Fenosa-Picasso : Une amitié
Commissaires : Josep Miquel Garcia Directeur de la Fondation Apel.les Fenosa
Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
Du 18 juin au 6 novembre 2016

Centre national d’exposition, Saguenay
De janvier à avril 2017