David Cronenberg et l’art contemporain
Le Cronenberg Project, ambitieux hommage rendu de septembre 2013 à janvier 2014 par le Festival international de films de Toronto au célèbre réalisateur de la Ville-Reine (en attendant l’exposition virtuelle permanente à tiff.net/cronenberg/museum), se devait de déborder le cadre de son nouveau siège permanent, comme David Cronenberg lui-même transgresse allègrement depuis près d’un demi-siècle les frontières entre formes artistiques aussi bien qu’entre formes de vie. Les nombreux visiteurs de la vaste rétrospective conjointe à la première exposition du TIFF Lightbox furent ainsi interpellés par les didascalies de scénarios de ses films parsemant les murs, prolongements de la contribution de Laurel Woodcock à l’une des deux expositions du MOCCA explorant les connivences de Cronenberg avec l’art.
Visions de créateurs autour d’un réalisateur
Pour David Cronenberg : Transformation, six artistes ayant des atomes crochus avec des auteurs fétiches (J. G. Ballard, Marshall McLuhan) ou des thèmes du cinéaste ont été invités à réagir à l’axe privilégié par le projet : l’avènement redoutable et désiré d’une nouvelle étape post-humaine de l’évolution induite par la technologie. Candice Breitz s’en est sagement tenue au palimpseste d’extraits des séances psychothérapeutiques du film d’inspiration autobiographique The Brood (1979), où ses propres parents et sa psychanalyste lisent avec elle en studio les répliques correspondantes, doublant les passages originaux projetés en regard ; l’interférence de l’intimité des deux créateurs n’en trouble que davantage le spectateur. Celui-ci doit aller plus loin en prenant place dans la cabine individuelle d’une version élargie pour l’occasion d’une installation déjà saluée à Berlin, Introduction to The Memory Personality de Jeremy Shaw, projection immersive hypnotique induisant une régression dans les zones primitives du cerveau. L’inconscient surréaliste de Marcel Dzama se donne libre cours dans l’œuvre qui domine l’exposition, Une danse des bouffons (sic), variations sur Étant donnés de Marcel Duchamp dans une autre installation d’un voyeurisme morbide, intégrant la projection en boucle d’un récit onirique noir et blanc parsemé de clins d’œil aux premiers films d’horreur somatique de Cronenberg : Scanners (1980), Videodrome (1982), The Fly (1986). Ce dernier fait aussi l’objet d’autocitations malicieuses du cinéaste dans l’une des cinq pubs télé de la série Transformation, donnant son titre à l’exposition, qu’il a réalisées pour les espadrilles Nike Air en 1990 ; un petit bijou faisant la transition vers une seconde exposition, Through the Eye, réservée à un choix d’œuvres d’art effectué par Cronenberg lui-même.
Regard d’un cinéaste sur l’art
On ne s’étonne pas d’y trouver, parmi les œuvres tirées des collections du Musée des beaux-arts du Canada, l’une des plus fameuses d’un artiste montréalais avec lequel il a d’évidentes affinités, Mark Prent, maître du shock art, représenté par Acrobate aux anneaux en version sérigraphie (1982), alors que la sculpture originale d’une figure coincée dans l’un d’entre eux trouve un écho frappant dans le nu cambré acéphale Arc d’hystérie, bronze de Louise Bourgeois (1993). Le mélange des genres culmine avec les deux sélections de la collection personnelle de Cronenberg en hommage au romancier William S. Burroughs qu’il a adapté en 1991 (Naked Lunch), comme le bédéiste Charles Burns, dont un fameux portrait de 1992 montre celui-ci revolver au poing en pleine transformation reptilienne sur fond d’apocalypse, tandis qu’une rare peinture abstraite de la main (sans pinceau !) de l’écrivain maudit évoque, en monochrome rose informe, la texture même de cette inquiétante « Nouvelle Chair » que le cinéaste célébra à sa suite.
DAVID CRONENBERG : TRANSFORMATION
Commissaires : David Liss et Noah Cowan
Du 5 septembre au 29 décembre 2013
DAVID CRONENBERG : THROUGH THE EYE
Du 2 novembre au 29 décembre 2013