De Paris à Ottawa, l’heureux voyage d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun
Ce portrait montre l’artiste à l’âge de vingt-sept ans. Joues et lèvres roses répondent au ruban et à la ceinture « cerise » et concourent à une opération de charme.
Quelle meilleure image que cet autoportrait pour assurer la promotion des talents de l’artiste !
D’emblée, un trompe-l’œil grandeur nature de la galerie des Glaces du château de Versailles accueille le visiteur. Et puis, les scénographes de la rétrospective consacrée à Élizabeth Louise Vigée Le Brun ont tiré parti de la demi-circularité de la première salle pour reconstituer le théâtre du Petit Trianon où Marie-Antoinette aimait retrouver ses intimes. Au centre, le buste en terre cuite représentant Madame Vigée Le Brun réalisé par Augustin Pajou : un modèle de grâce. Au mur, au fond de la salle, quatre autoportraits donnent une idée de la beauté de l’artiste, de sa fraîcheur, de sa force de caractère. Enfin, juste avant d’entamer la visite, le tableau de Pérignon (peint vers 1859), Marie-Antoinette ramassant les pinceaux de Madame Vigée Le Brun (1784), souligne combien la souveraine se souciait de sa protégée alors enceinte.
Élisabeth Louise Vigée Le Brun a quitté Paris. Elle a transité à New York. La voici à Ottawa, où quatre-vingt-dix de ses portraits habitent les salles du Musée national des beaux-arts du Canada jusqu’au 11 septembre. Il y a bien quelques paysages aussi, mais ce n’est pas ce que la postérité aura retenu. Il s’agit d’une rétrospective découpée en huit stations qui offre au public d’embrasser l’ensemble d’un œuvre composé d’huiles et de pastels, et d’accéder à l’incroyable destin de son auteure.
Car elle fut ambitieuse, cette fille de pastelliste, et à raison. Parmi les artistes féminines du XVIIIe siècle, elle fut à la fois exemplaire et à part. L’exposition, à la fois thématique et chronologique, insiste sur ce double point, avec une scénarisation à l’élégance discrète qui refuse une théâtralité convenue ou compassée. Impossible, alors, de ne pas scruter un à un les visages des aristocrates et des grands bourgeois, des hommes, et surtout des femmes, qui défilent sous nos yeux dans un régal de couleurs où dominent le bleu pour exprimer la période précédant la Révolution française (les adieux), le rouge pompéien pour les douze années d’exil (l’absence : 1789-1802) et le gris pour les décennies du retour. Quant aux clefs nécessaires à la bonne compréhension des enjeux, elles sont livrées dans les textes explicatifs qui ponctuent le circuit et les sobres légendes qui accompagnent chaque tableau.
Des hymnes à la beauté
Qui se douterait que, bien avant que Chanel pense à décorseter les femmes du XXe siècle, la portraitiste Vigée Le Brun ait contribué à les libérer un peu ? Si sa main se veut précise dans les moindres détails, elle se fait souple pour rendre le mouvement caractéristique des mousselines ou des soies. Enfin, elle donne la vie : ses modèles ont les cheveux mousseux comme un dessert gourmand, les joues rosées – voire brûlantes –, les lèvres entr’ouvertes et les yeux lumineux. Une telle sensualité déjoue forcément l’académisme par ailleurs brillant de celle qui a su s’imposer artiste-femme.
Elle redouble d’audace en installant ses modèles dans leur environnement quotidien, allant jusqu’à faire revêtir d’une simple chemise la reine elle-même, sa plus grande protectrice, celle qui la préféra entre tous pour ses portraits d’apparat. Devant Marie-Antoinette en chemise ou en gaulle (vers 1783), on imagine le scandale, les rumeurs qui enflent, le prétexte à encore critiquer la reine qui, quoi qu’elle fasse, aura tort. Mais la boue, si elle atteint la toile, n’éclabousse pas l’artiste qui tient le pinceau. Dès le début de l’exposition, vous la voyez rayonnante et affirmée dans ses autoportraits – autant d’hymnes à une beauté qui ne lui a certainement pas nui dans son ascension, mais qui disent aussi la perfection de son art dans un milieu phallocrate.
Elle se peint donc, Vigée Le Brun, et elle peint les autres, en floutant la ligne de démarcation entre le public et le privé, en suivant les modes et les humeurs. Les regards sont d’une rare profondeur ; ils traduisent, selon les modèles, l’intelligence, la détermination, la lassitude et, quelquefois, une forme de rouerie. Le monumental Marie-Antoinette et ses enfants (1787) s’est vu reproché son manque de chaleur familiale. C’est sans doute parce qu’on sait combien l’artiste multiplie ailleurs les regards de tendresse maternelle, à commencer par ses autoportraits avec sa fille Julie. D’autres mères et d’autres enfants sont là, aussi, témoignant de cette nouvelle conception de la famille qui gagne l’Europe rousseauiste. Ils constituent un genre à part entière dans sa production : les tableaux de maternité, auxquels est consacrée une partie de l’exposition.
Enjoliver un peu
L’histoire avance à grands pas, rattrape son héroïne, mais celle-ci lui échappe : la portraitiste quittera la France à temps, dès le début de l’automne 1789. En consacrant la suite de l’exposition à cette période d’exil doré (1789-1802), les commissaires Joseph Baillio, Paul Lang, Katharine Bretjer et Xavier Salmon permettent une mise en chronologie et en perspective. De Naples à Saint-Pétersbourg, de Vienne à Berlin, Vigée Le Brun réalise une série de tableaux marquants, dont le Portrait en atelier de Lady Hamilton en Sibylle de Cumes (1792) qui lui sert de sésame en Europe. Outre les modes et les coutumes qui changent les costumes et les coiffures, au-delà de ses propres fantaisies, elle peint avec la même verve et de la même manière ses personnages, en prenant soin d’enjoliver un peu le tout. Car elle n’est pas Adélaïde Labille-Guiard, ni Angelika Kaufman, ses rivales dont le travail est plus réaliste. Elle, c’est Élisabeth Louise Vigée Le Brun !
Jusqu’à la fin, elle garde une signature d’élégance française « XVIIIe siècle » qui pourrait être une entrave, une fâcheuse répétition, si ce n’était la vie, la joie qu’elle y insuffle et qu’elle retranscrit. Elle raconte des histoires heureuses, celles des personnages dont elle fixe la réussite et le bonheur. Elle ignore leur déchéance, la maladie, la mort, la guillotine. Mais elle reconnaît leur lumière intérieure. Et c’est un peu de cette lumière qui voyage, du Grand Palais de Paris au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa, après être passée par le Metropolitan Museum à New York.
Étapes précédentes
Grand Palais Paris
Du 25 septembre 2015 au 11 janvier 2016
Metropolitan Museum New York
Du 9 février au 15 mai 2016