« Voir cette roue tourner était très apaisant, très réconfortant, c’était une ouverture sur autre chose que la vie quotidienne. J’aimais l’idée d’avoir une roue de bicyclette dans mon atelier. J’aimais la regarder comme j’aime regarder le mouvement d’un feu de cheminée.1 » – M. Duchamp

Marcel Duchamp avait compris le pouvoir hypnotisant de la roue. Jusqu’à aujourd’hui, son œuvre, ironique et magistrale, continue d’exercer sa fascination. Dans ses installations récentes, Diane Landry exploite à sa manière cet objet circulaire, affublé de sacs ou de bouteilles de plastique, lumières et mécanismes. Ses œuvres instaurent ainsi un envoûtement et conduisent le spectateur vers un autre imaginaire.

Les objets choisis par Diane Landry – des bouteilles d’eau et des sacs de céréales – évoquent la vie quotidienne. Mais pas seulement. Hors d’usage, ils rappellent ce qui est déchu, et vides, ils sont désormais vides de sens ; tels des spectres transparents. Toutefois, dans son œuvre Chevalier solo, l’artiste a introduit dans chaque bouteille un peu d’huile minérale comme s’il s’agissait d’un restant d’eau dans les contenants. Glissant tour à tour contre la paroi des bouteilles, ce liquide leur confère un air mélancolique. Cependant, dans ses installations L’échappée, quelques grains de sable ou de sel sont discrè­tement insérés dans des sacs de céréales – peut-être pour suggérer ce qu’il reste une fois l’eau évaporée. Le propos de l’artiste semble ainsi alterner entre ce qui est parti et ce qui reste entier, l’absence et le souvenir. Mais il s’agit également, à travers le sable, tel celui d’un sablier, et l’eau, toujours en mouvement, de rappeler le temps qui passe et que l’on ne peut arrêter. Une temporalité proprement humaine. En les plaçant dans les contenants en plastique, l’artiste semble pourtant vouloir les capturer. Les suspendre dans un hors-temps.

Les contenants transparents sont placés autour ou au centre de la roue. Grâce à un mécanisme simple – celui du contrepoids –, Diane Landry met en mouvement l’ensemble des installations. Elle réanime ainsi les objets récupérés, et le spectateur découvre des œuvres qui tournent ou se balancent sempiternellement. De ces rebuts de la société de consommation, l’artiste crée une œuvre d’où ressurgit le vivant. Où la magie renaît.

L’oscillation et le tournoiement des œuvres provoquent alors un effet hypnotisant. Tels d’immenses pendules, elles conduisent le spectateur dans la contemplation. Il pénètre dans une temporalité autre. Perpétuelle. Cette stratégie se retrouve dans beaucoup d’œuvres précédentes de Diane Landry. L’artiste veut que le spectateur s’arrête, au lieu de jeter un coup d’œil furtif sur les œuvres. Pour captiver davantage le regard, elle joue alors également de la lumière. Dans Chevalier solo, elle émane des bouteilles d’eau, tandis que dans L’échappée, elle provient de la réflexion même de la roue sur le sac de céréales. Comme le rayon d’une auréole. Impalpable, cette lumière insère une part d’immatériel à l’ensemble des installations. La transcendance s’immisce ainsi discrètement dans ce fragile équilibre d’objets assemblés.

Grâce à cette lumière, l’artiste crée des projections, des ombrages sur le mur ou sur les sacs. Une image se profile. Abstraite, elle stimule l’imagination. Les quelques grains de sable eux aussi forment un dessin. Le travail de Diane Landry approche ainsi des confins de la peinture et, comme à son habitude, mélange les genres.

Toutes sortes de rencontres, donc. Celle de la sculpture avec la peinture. Celle du matériau pauvre avec l’évanescent. La finitude avec le perpétuel. La perte avec le merveilleux. L’œuvre conduit de l’un à l’autre, dans un balancement. Ces rencontres, Diane Landry les provoque sans en cacher les mécanismes. Les fils électriques et les systèmes de contrepoids sont apparents. Elle laisse voir les rouages qui permettent à l’œuvre d’art d’être créée. Son intervention étant aussi apparente, les œuvres métaphorisent alors le geste artistique.

En effet, le tissu narratif des œuvres s’inscrit dans celui d’un cycle, d’un aller-retour continuel. Il ne se passe rien d’autre que ce geste qui ressemble en cela à un rituel. Le travail de l’artiste en est similaire : son geste serait une sorte de bataille solitaire qui n’atteint jamais complètement l’objet désiré. À chaque œuvre, tout est à recommencer. L’artiste doit de nouveau, pour s’échapper du réel, faire surgir l’émerveillement.

(1) Citation de M. Duchamp extraite de Roue de bicyclette, épitexte, texte et intertextes, André Gervais, Cahiers du MNAM No 30, p.59-80.

DIANE LANDRY 
Galerie Michel Guimont, Québec
Du 25 octobre au 21 novembre 2014