Dolorès Contré : broder la puissance des mondes
Artiste interdisciplinaire et pédagogue de formation, Dolorès Contré est métisse par ses grands-parents issus de la nation anishinaabeh. Dans son exposition Dkopjigan – Ballot de transmission de récits racontés en symboles, elle présente ses dernières œuvres qui mêlent les mythes des Premiers Peuples de l’est de l’Amérique du Nord avec l’histoire de Lanaudière.
Travailler la matière
Des œuvres de Contré émane un puissant rapport à la matière première. Le canevas principal de l’exposition est le « papier/matière » fabriqué à partir d’écorce de bouleau dans le cadre d’un projet de recherche-création en collaboration avec la papeterie Saint-Armand (Montréal). Assez fin pour laisser s’infiltrer la lumière mais suffisamment solide pour être utilisé comme toile de broderie, il permet à lui seul d’infinies explorations. Les piquants de porc-épic, ramassés sur le bord des routes puis lavés et teints, épousent les formes des copeaux broyés ou créent parfois de nouvelles lignes humaines et animales. Dès l’entrée de l’exposition, les sept tableaux jouent avec les perceptions du public qui peut allumer et éteindre les caissons lumineux. Le relief du papier dialogue avec les lignes colorées des piquants et les trous laissés par l’aiguille se transforment en constellations que l’artiste nous invite à relier entre elles. Le bouleau devient le parchemin de nouveaux récits qui prennent vie au gré des textures végétales et des traces animales. Dans trois autres petits tableaux, Serpent cornu iroquois (2001), Mshi Bizhu ojibway et Skrimpls Islandais-Inuit (2001), Le serpent celtique (2001), l’artiste utilise l’écorce brute comme support et le foin d’odeur pour cadre. Des piquants de porc-épic et de très fines écailles de poisson donnent corps à des animaux mythologiques chatoyants. Plus loin, nous sommes face à Mooz Andajimo (2020), une grande peau d’orignal tendue et peinte de pigments naturels, de poudres minérales, de charbon et de craie blanche. Sur celle-ci, Dolorès Contré et sa nièce Fédora Zea Contré ont dessiné l’histoire de Lanaudière et tracé ses contours. L’animal devient le lien privilégié entre l’humain et son territoire, à la fois réel et spirituel.
Révéler les relations
Il y a dans le travail de Contré un fort intérêt à révéler les relations invisibles et raviver celles que nous avons mises de côté. Dans Mooz Andajimo, les liens entre l’eau, la terre, les humains, les animaux, les symboles et plusieurs entités surnaturelles de l’Est cohabitent. Le mouvement spiralé qui les unit invite d’ailleurs à comprendre l’harmonie de leurs relations et leur interdépendance. À quelques pas, le petit tableau Mtigok – l’Arbre de Vie (2020) représente un arbre aux mille couleurs. À y bien regarder, on constate que c’est aussi un utérus, source de la vie humaine. Notre lien à la Terre-Mère, en plus d’être vital, est aussi une thématique foisonnante pour l’artiste. Plus généralement, les explorations de Contré sont une incitation à sentir et à écouter les matières naturelles pour les laisser s’exprimer de façon intuitive avant de les contraindre à une forme réfléchie. En jouant sur les plans d’ensemble et les détails, la transparence et l’opacité, elle souhaite que nous développions notre propre récit. Les couleurs des piquants de porc-épic dialoguent également les unes avec les autres, représentant, au gré de nos émotions et des interprétations possibles, les sept directions de la vie, une histoire personnelle ou encore un récit issu des cosmologies. Il en résulte une profonde interrelation entre les œuvres, les éléments graphiques et les êtres représentés.
Le relief du papier dialogue avec les lignes colorées
des piquants et les trous laissés par l’aiguille se transforment en constellations que l’artiste nous invite à relier entre elles.
Transmettre les récits
En tant que pédagogue spécialisée en spiritualité autochtone, Contré a veillé à guider le public dans la lecture de ses œuvres. Conformément à la vision des nations de l’Est, le parcours de l’exposition suit la logique en spirale. Des textes détaillent la symbolique qui entoure chacune des pièces, et notamment les sept tableaux rétroéclairés. Les pictogrammes brodés et peints se retrouvent dans d’autres œuvres et permettent de mieux comprendre les relations qui unissent les animaux, les végétaux, les traces humaines et mythologiques, les symboles, aussi bien sur le territoire cartographié que dans l’histoire et la cosmologie autochtones. Interpellée sur notre rapport à notre environnement immédiat, l’artiste veut nous inciter à explorer notre propre territoire et à retrouver une forme d’intimité avec l’esprit du lieu. Dans un ultime souci de transmission, la présentation des différentes techniques de broderie, les multiples essais de création du « papier/matière » et un livre d’artiste ponctuent les explorations artistiques qu’offre la Terre-Mère.
Dkopjigan. Ballot de transmission de récits racontés en symboles
Centre des arts et des loisirs Alain-Larue, Notre-Dame-des-Prairies
Du 12 août au 4 septembre 2020