Dominique Paul. L’œil ne ment pas
Dans les œuvres de Dominique Paul, il y a souvent une figure solitaire, un « lone warrior » qui semble se dresser de façon un peu dérisoire contre des ennemis impénétrables ou dans des lieux déserts presque apocalyptiques (le combat est peut-être fini ?). Un parfum de fin du monde habite la plupart de ses images comme l’attestent les sujets que traite l’artiste : la nature mise en danger, l’être humain redéfini dans un rapport de codépendance avec la technologie. Et puis au centre du spectacle à regarder, la lumière apporte une touche sacrée.
En même temps, quelque chose d’iconoclaste anime l’artiste, car ses images opèrent de deux façons bien différentes. D’une part, elle met en scène le ridicule, le grotesque, l’incongru : une femme à demi nue, la tête entourée de bouteilles vides, se promène à quatre pattes la nuit dans un musée d’histoire naturelle. D’autre part, elle épouse l’esthétique léchée de la publicité, quand cette même femme pointe une sorte de lance en direction de l’image d’un dinosaure géant !
Si la mise en scène « fonctionne », nous oublions les parties. Les éléments se transforment pour donner naissance le plus souvent à un être qu’on pourrait qualifier d’hybride ! Elle procède à une transcendance des éléments constitutifs, ainsi ce qui se trouve devant nos yeux nous questionne, nous échappe !
Impossible de nier un côté frondeur et charmant dans le travail de Dominique Paul. Adepte du « do-it-yourself » et du prêt-à-porter « low-fi », on la sent investie d’une mission. Avec les moyens du bord, elle donne de grands coups dans les apparences de la raison afin de sublimer le réel.
Quand les ficelles de la mise en scène demeurent apparentes, les œuvres chancellent et le spectateur reste en surface. En essayant de concurrencer les immenses budgets engloutis dans les images de réclame, l’artiste s’avance courageusement en terrain miné. On peut toutefois se demander si elle réussit toujours à questionner le message habituel. Épouser l’esthétique de la publicité est une aventure périlleuse, et le danger d’être rapidement consommée effleure à quelques reprises notre guerrière solitaire.
Fortes et vivantes sont les œuvres de Dominique Paul où une dérangeante étrangeté habite les corps hybrides. Dans la série Les insectes du Surinam, avec une tendresse non dissimulée, l’artiste greffe à des fragments d’insectes des parties de corps masculins « bodybuildés ». Ces œuvres qui ressemblent à des planches entomologiques possèdent une grande beauté. L’artiste fait un clin d’œil à la métamorphose (animale et humaine) et trace un parallèle entre les manipulations numériques et génétiques. Elle juxtapose aussi intelligemment la pensée de masse, les stéréotypes, les rengaines publicitaires et l’aspect programmé de la ruche. L’étrange s’enveloppe d’une douce dénonciation.
Dans la série des Prométhée, qui semble se dérouler la nuit dans un musée d’histoire naturelle, une créature humaine à la tête de lumière évolue au milieu de bêtes sauvages empaillées.
L’artiste déplace sur un fond immobile une seule survivante au milieu des morts, une agitatrice de poussière dans le faux décor de « Night at the museum ». Paradoxalement, dans cette dystopie futuriste, sous le regard vide des yeux en plastique, les animaux ne sont plus qu’un souvenir et l’humain (hybride ?) marche à quatre pattes.
Dans une troisième série d’œuvres, Dominique Paul a projeté des images sur les corps de modèles pour ensuite les prendre en photo. Le procédé n’est pas nouveau, mais ici il est bien employé et donne des résultats séduisants. Les modèles sont-ils nus ? On semble le deviner et il s’ensuit un jeu où le corps nu est faussement habillé par une ou plusieurs images. Dans cette simulation, les époques se croisent, peintures anciennes et modèles contemporains se mélangent. Au détour des costumes bigarrés, l’accent est mis sur le regard, car dans ce curieux rapport de révélation (nudité) et de camouflage (projection), l’œil seul ne ment pas !
Avec un peu de recul, en examinant le corpus d’œuvres de Dominique Paul, on s’aperçoit que l’artiste offre une réflexion critique sur le temps et notre époque. Avec en prime, côté cœur, une émotion qui rend les images attachantes.
DOMINIQUE PAUL C’EST PAR LA LUMIÈRE QUE JE ME MÉTAMORPHOSE Commissaire : Andrée Matte
Musée d’art contemporain des Laurentides, Saint-Jérôme
Du 16 septembre au 4 novembre 2012