« Émergences et convergences » au Centre Phi : faire partie d’un tout
Après une fermeture de trois mois en raison de la pandémie, le Centre Phi propose du 24 juin au 25 octobre 2020 l’exposition Émergences et convergences. Cette initiative se veut une « contemplation éco-futuriste » et marque une réflexion artistique sur l’impact collectif du confinement. En quoi cette privation de liberté aura-t-elle permis de « réévaluer les priorités et les valeurs en tant que communauté universelle », et comment a-t-elle contribué « à renouveler notre lien avec la nature ?1 »
Ces questionnements s’avèrent essentiels à aborder, car les causes de la pandémie que nous traversons sont aussi liées à l’impact de l’activité humaine sur l’environnement2 : c’est notamment par la dégradation de la biodiversité (dont les déforestations massives) qu’un déséquilibre dans les écosystèmes a mené à la propagation de maladies3.
Émergences et convergences est à considérer comme une rêverie sur l’état du monde en cette période incertaine, s’articulant autour d’une quête d’harmonie entre l’humain et la nature par le biais de la technologie.
La Convergence : le rapport empathique à l’autre
Il est évident que le coronavirus a bouleversé notre quotidien. Cela nous a confronté à la nécessité de mettre de côté, pour un temps, le soi pour penser au nous. Ce point est exacerbé par l’installation expérimentale Alter Ego (2013) de l’artiste Moritz Wehrmann. Cette installation se testant à deux est un miroir qui, par effet stroboscopique, fait apparaître de manière intermittente le reflet de la personne sur notre propre image. Cette fusion permet de créer un trouble identitaire : nous devenons visuellement l’autre. Au travers de cette expérience empathique, c’est une amorce de prise de conscience de l’altérité, mais aussi de la similarité : de ce qui nous constitue en tant qu’humanité, selon notre diversité et notre unité.
Le concept d’empathie trouve une autre application dans l’installation d’Armando Kirwin et Azuma Makoto, A Life in Flowers (2019). Présentée en première au Festival international du film de Venise dans le cadre de la Biennale de 2019, et adaptée ici sans la réalité virtuelle, cette initiative vise à retranscrire notre identité par les fleurs. Une intelligence artificielle (avec la voix de Marc-André Grondin) nous pose des questions à la fois philosophiques et intimes (ce que représente le changement pour nous ou encore quels sont les accomplissements personnels les plus satisfaisants…). De nos réponses se matérialisent des fleurs qui s’épanouissent au fur et à mesure : il se construit dès lors une connexion poétique entre notre intériorité et son expression florale.
L’Émergence : les possibles d’un monde renouvelé ?
L’harmonie entre l’humain et la nature se reflète dans la scénographie en elle-même, qui est traversée par un jardin intérieur. Ce dispositif permet à la fois de favoriser une déambulation tout en marquant un lien entre l’extérieur et l’espace d’exposition.
La concrétisation de l’harmonie avec l’environnement se retrouve dès l’entrée du Centre Phi par l’installation de Daniel Corbeil, Cité Laboratoire (2012-2018). L’artiste canadien propose une maquette d’une cité gratte-ciel, exemple d’une « nouvelle architecture verte4 » autosuffisante. Ce prototype appuie la convergence entre les constructions humaines et la nature, et en affirme l’efficacité puisque l’installation est elle-même constituée de plantes véritables. Loin d’être une utopie, ce type
architectural occupe déjà l’espace urbain : c’est en 2014 qu’a été édifiée à Milan par l’architecte Stefano Boeri, le Bosco Verticale (forêt verticale)5. L’intégration de la biodiversité dans le bâti est une réponse à la dégradation environnementale liée à l’action humaine et d’autres exemples existent ailleurs dans le monde, notamment à Singapour ou encore à Paris avec la Tower-Flower.
En reconsidérant notre rapport à la nature, Corbeil nous amène à mettre en perspective nos modèles. Il semble intéressant d’opposer ce type d’architecture écoresponsable à ses antagonismes : des édifices exacerbant dans la culture populaire la toute-puissance capitaliste, par exemple la tour Fredersen dans le film Metropolis (1927) de Fritz Lang ou la Trump Tower à New York. La Cité Laboratoire et le mouvement d’architecture écologique apparaissent comme une réponse en concrétisant l’effectivité d’un futur responsable affranchit de la quête inassouvissable de la croissance.
Les différentes propositions exposées au Centre Phi permettent d’ouvrir la voie à une réflexion sur ce qui nous constitue en tant que partie d’un tout, à l’échelle humaine, planétaire et au-delà.
La synthèse du discours général de cette exposition se trouve dans la proposition de George Fok, La poursuite du temps (2020). Installation vidéo immersive faite de son et de couleurs, cette initiative nous invite à méditer sur le positionnement de l’individu par rapport aux autres, à son environnement et à ce qui le transcende.
Par des motifs évoquant à la fois la nature, la technologie, la spiritualité ou encore l’espace, ce poème immersif nous fait prendre conscience, à une échelle individuelle et collective, de la place que nous occupons : à la fois si petite devant l’infini et si grande au regard de l’impact qu’ont nos actions sur notre propre espèce et notre environnement. C’est peut-être ce qu’a mis de l’avant l’épidémie : notre fragilité face à ce qui nous surpasse et ce que l’on ne peut pas contrôler – que ce soit les éléments naturels, l’apparition d’un virus ou encore, la marche de l’univers.
Dès lors, la connaissance de soi et de ce qui nous entoure amène la résilience et l’humilité, ou la possibilité d’un renouvellement se centrant sur l’acceptation de la faillibilité et celle d’une prise de conscience individuelle pour une amélioration collective – un dépassement.
De quoi demain sera-t-il fait ?
Les différentes propositions exposées au Centre Phi permettent d’ouvrir la voie à une réflexion sur ce qui nous constitue en tant que partie d’un tout, à l’échelle humaine, planétaire et au-delà. Les conséquences des actions individuelles sur le collectif – c’est-à-dire notre responsabilité – sont mises en perspective tout en abordant l’impact que nous avons sur l’environnement et la nécessité d’une conscientisation.
En invoquant une rêverie sur les futurs possibles, Émergences et convergences amène à considérer les choix éthiques et politiques que nous devons faire afin d’assurer notre survie. Il se dégage alors un message d’espoir pour une humanité consciente, responsable et engagée6.
(1) Centre Phi (2020). Il est à préciser que l’intégration de la question de la nature par les nouvelles technologies est une thématique récurrente dans la programmation du Centre Phi à l’image de l’exposition Particules d’Existences proposée en 2018. Voir Solbes, B. (2018). « Expérimenter des particules d’existence au Centre Phi ». Ex-Situ
(2) Voir la synthèse de la Fondation de la Recherche pour la Biodiversité (FRB) (en particulier p. 10) (2020). Mobilisation de la FRB par les pouvoirs publics français sur les liens entre la COVID-19 et biodiversité. FRB
(3) Voir CIRAD (2020). « COVID-19 – Aux origines environnementales de la pandémie… » CIRAD
(4) Centre Phi. (2020). Op. cit.
(5) Pour Boeri : « À la sortie de cette pandémie, l’homme va devoir réviser son rapport à la nature, et l’envisager non plus en termes d’exploitation, mais d’alliance. […] Il faut arrêter de vouloir emprisonner la nature, de la cantonner aux marges de la ville, mais l’envisager comme un organisme vivant, une partenaire […] cela implique que les architectes et les urbanistes auront un rôle important à jouer pour repenser cet équilibre entre la ville et la nature ». Peltier, C. (2020). « Les villes doivent être des vecteurs dans le développement de corridors écologiques planétaires ». Le Monde
(6) Dans cette suite, il est à noter la forte mobilisation des Montréalais et des Québécois (500 000 personnes) lors de la Marche pour le climat en Septembre 2019. Voir Baillargeon, S. et Shields, A. (2019). « Marée humaine pour le climat dans les rues de Montréal ». Le Devoir
Émergences et convergences
Centre Phi, Montréal
Du 24 juin au 25 octobre 2020
Artistes : George Fok, Olafur Eliasson, Daniel Corbeil, Armando Kirwin et Azuma Makoto, Katherine Melançon, Sabrina Ratté, Moritz Wehrmann.