Depuis 2016, le Centre Phi propose des expositions de cinéma immersif en réalité virtuelle (RV) invitant le visiteur à appréhender le réel par l’autre bout de la lorgnette. Écho : Réverbération dans l’espace offre l’occasion de ressentir notre univers et d’y réfléchir au travers des vibrations et des lointains échos d’un passé qui hante toujours notre espace-temps. Au fil des alcôves à explorer se déploie une dizaine d’œuvres : pour chacune, un préposé aide le visiteur à enfiler le matériel indispensable à l’expérience (casques de RV et d’écoute, sac à dos vibrant dans certains cas) et expose brièvement les consignes essentielles à son bon déroulement.

Si la plupart des films sont des fictions relevant de techniques d’animation, quelques-uns s’inscrivent dans le sillon du documentaire, dont The Real Thing, de Benoit Felici et Mathias Chelebourg ; l’œuvre nous transporte, le temps d’une courte « visite touristique », dans des répliques chinoises de grandes capitales mondiales. Dans une banlieue de Shanghai, on découvre avec étonnement des reproductions à l’identique de quartiers de Paris, Venise ou Londres. Ce film, plusieurs fois primé, constitue une déconcertante entrée en matière au cœur de la réalité virtuelle puisque les lieux qu’on y montre sont des copies kitsch, surannées et fausses d’endroits mémorables. Sans l’âme, le vécu, la population ni l’histoire des modèles originaux, cet empire du toc crée son lot de questionnement sur le monde dans lequel on vit ou vivra.

Jessica Brillhart, Beethoven’s Fifth (2017) 
Photo : Sandra Larochelle

Après cette introduction se succèdent plusieurs expériences consensuelles, comme The Coast, créée par Turbulent pour le groupe électro-pop montréalais Valaire, qui invite à danser au son d’une musique caribéenne digne d’un parc thématique disneyen. Dans cet esprit « feel good VR », Crow: The Legend évoque un monde protohumain sur Terre où évoluent Corbeau, admiré tant pour son plumage que pour son ramage, et toute une ribambelle de petits animaux (mouffette, tortue, papillon, etc.). Un jour, l’esprit des Saisons décide d’inventer l’hiver ; tandis que la faune réalise la dangerosité que recèle l’hiver pour son existence même, on délègue Corbeau afin de tenter de convaincre « Celui qui crée tout par la Pensée » de les aider. Raconter la suite serait un crime de lèse-narration, mais ce court film d’Eric Darnell produit par Baobab Studios, qui fut présenté au Festival de Cannes 2018, est mignon et sucré à souhait ; il charmera assurément le très jeune public en le confortant dans une esthétique entièrement aseptisée où il pourra, ici et là, interagir avec son environnement en faisant tomber quelques flocons de neige ou geler quelques centimètres de sol par ses gestes.

Cette utilisation consensuelle et basique de la technologie de RV destinée aux enfants est aussi mise de l’avant dans Wolves in the Walls, qui propose une fable immersive dans laquelle Lucy, 8 ans, convie le « spectateur-roi » à l’aider, grâce à des manettes de jeu, à mettre au jour les secrets se terrant dans les murs de sa maison. Inspirée de l’œuvre de Neil Gaiman et de Dave McKean, cette courte forme de Pete Billington amuse, sans plus, avec comme seule interaction un appareil photo permettant de photographier les fantômes des loups.

Pour un public plus ado/adulescent, Pearl et Tales of Wedding Rings sont autant de jolis films made in VR. Dans le premier, une jeune fille et son père libertaire sillonnent l’Amérique à bord d’une voiture. C’est l’idée de transmission intergénérationnelle qui s’incarne dans cette animation, premier film en RV nommé aux Oscars (2017). Quant au second film, il reprend l’univers du manga dont il est tiré, originellement publié dans le Monthly Big Gangan. On y retrouve les personnages de Hime et de Sato dans une belle plongée au cœur de cette épopée ultra­populaire chez les Otaku (fanas de manga). Lauréat au World VR Forum en juin 2018, Tales of Wedding Rings fut de la compétition de RV à la dernière Mostra de Venise. Dans ces films destinés aux jeunes publics, il s’agit pour l’essentiel de regarder le film, en position assise, sans possibilité d’interaction. L’effet 360 degrés permet de tourner la tête pour découvrir l’environnement comme si on était en son centre, sans plus.

Les deux moments forts de l’exposition sont assurément Spheres,d’Eliza McNitt, et 
Vestige, d’Aaron Bradbury.

Plus sérieux et en prise de vue réelle cette fois, mais tout aussi consensuels, Space Explorers : Taking Flight et Beethoven’s Fifth s’adressent à un public adepte de musique classique et d’exploration spatiale. Taking Flight, second volet de la série Space Explorers, signé par le studio montréalais Felix & Paul, est la suite de « A New Dawn », qui a été présenté dans l’exposition Particules d’existence au Centre Phi au printemps 2018. Produit en collaboration avec la NASA, Taking Flight montre le quotidien d’astronautes à l’entraînement de même que les liens de camaraderie se tissant entre les participants des programmes internationaux.

Dans Beethoven’s Fifth, on assiste à la captation en direct du premier mouvement de la Cinquième Symphonie de Beethoven, interprété par l’Orchestre Philharmonia de Londres sous la direction du chef Esa-Pekka Salonen. Ce film de Jessica Brillhart souligne le 40e anniversaire du décollage des navettes Voyager 1 et 2. Dans ces deux films, le visiteur est simplement assis et c’est en bougeant la tête qu’il peut modifier son point de vue. Dans Beethoven’s Fifth, l’effet est entravé par les déplacements de la caméra qui contredisent parfois ses mouvements.

Les deux moments forts de l’exposition sont assurément Spheres, d’Eliza McNitt, et Vestige, d’Aaron Bradbury. Ce dernier film invite le spectateur dans un espace constitué de lignes noires et blanches sur fond noir. Lisa (magnifique narration de Marion Cotillard) se remémore des moments de sa vie avec son époux, Erik, mort tragiquement. À travers le regard qu’il choisit et son positionnement physique dans la pièce, le visiteur explore diverses facettes d’un récit dont la matière visuelle et sonore de même que les propos de la jeune veuve évoluent en fonction de ses mouvements. On est à plusieurs reprises surpris des disparitions et apparitions de cette dernière à des moments et des endroits où l’on ne s’y attend guère, ce qui contribue à créer un effet déstabilisant en résonance avec le sentiment de douleur et de perte de Lisa. Une expérience émouvante, certes, mais tout en pudeur et en retenu, qui évite habilement le pathos.

Point d’orgue de la visite, Spheres, d’Eliza McNitt (produit par Daren Aronofsky), prend la forme d’une suite narrative en trois volets. Le film, qui a reçu plusieurs prix et nominations, remonte aux origines de la musique du cosmos pour nous faire entendre et ressentir la valse des planètes (segment intitulé « Chorus of the Cosmos », narré par Millie Bobby Brown), la profondeur des trous noirs (« Songs of Spacetime », narré par Jessica Chastain) et le chant de notre galaxie et de la Planète bleue (« Pale Blue Dot », cette fois narré par Patti Smith). À l’aide de deux manettes et d’un casque relié au plafond, on se tient debout à l’intérieur d’un cercle dessiné au sol. Nos déplacements dans cet espace réduit, de même que les gestes effectués avec les manettes, permettent d’interagir avec l’environnement, d’entendre la musique de telle ou telle planète, d’accentuer l’effet de vertige d’une plongée au cœur d’un trou noir, etc. C’est une véritable expérience multisensorielle, de loin la plus intéressante de la présente sélection. Une expérience puissante et émouvante dans un univers constitué, tout comme nous, de poussière d’étoiles depuis longtemps disparues. L’ultime segment de Spheres se clôt sur un bilan étonnant tandis que l’inimitable voix rauque de Patti Smith demande : « Quand la Terre sera morte, recouverte par son écorce, et qu’il n’y aura plus ici âme qui vive, qui entendra le chant des planètes ? » On peut se demander si les planètes ont réellement besoin de nous pour résonner ad infinitum.

Eric Darnell, Crow: The Legend (2018)
 Photo : Sandra Larochelle

Au terme de cette visite, une observation : si le Centre Phi ambitionne de « rendre la réalité virtuelle accessible à tous et de faire rayonner Montréal comme plaque tournante des arts et de la technologie à l’échelle internationale1 », on se dit que le tarif d’entrée – 25 $ par adulte ou 20 $ pour les étudiants et les aînés – est relativement prohibitif, surtout pour les jeunes.

Ensuite, un constat : si certaines œuvres de l’exposition précédente, intitulée Particules d’existence, avaient eu l’heur de mettre en évidence le potentiel artistique et social de la RV – entre autres avec Roxham, de Michel Huneault, Chalkroom, de Laurie Anderson,  et The Sun Ladies, de Christian Stephen et  Céline Tricart –, ce n’est pas le cas de la présente sélection, essentiellement divertissante. Outre Spheres et Vestige, et peut-être (mais est-ce là son intention ?) The Real Thing, on nage dans une mer de consensualité et de fascination un peu primaire pour une technologie pleine de promesses, certes, mais dont on est encore bien loin de parvenir à explorer toute la gamme des ressorts artistiques. On attendra la suite avant de statuer, puisqu’il est assurément trop tôt, mais comme c’est souvent le cas après avoir exploré l’univers et constaté notre insignifiance cosmique, on est depuis cette visite contrit par le doute. 


Écho : Réverbération dans l’espace
Centre Phi, Montréal 
Du 25 septembre 2018 au 3 février 2019

(1) Centre Phi, « Écho, la nouvelle grande exposition de réalité virtuelle au centre Phi », communiqué de presse, [En ligne] https://bit.ly/2ElaJlk