C’est par l’action que Francine Simonin construit ses images. Variant la taille des brosses, l’opacité ou la teinte du pigment, l’artiste laisse, sur le plan pictural, des traces de ses mouvements. Les marques accumulées élaborent des compositions expressives et intenses livrant l’immédiateté et l’authenticité de l’impulsion qui les a provoquées. Véritables projections d’une pulsion créatrice dont elles sont le portrait, les œuvres présentées dans l’exposition Vu de ma fenêtre sont inspirées, comme le titre l’indique, des paysages que l’artiste peut observer de son atelier, situé face au lac Léman, en Suisse.

La majorité des dix-huit monotypes sélectionnés sont des grands formats (167 x 140 cm) sur lesquels de larges zones sont couvertes de tons de bleu. Plus claires à droite, plus foncées à gauche, plus transparentes dans la partie inférieure, modulées par la touche, toujours apparente, qui accumule des ondulations irrégulières. Plus obscures ici ou plus lumineuses là, les nombreuses variations de la surface miment la fluidité. Elles recréent les effets de miroitements des éclats de lumière changeante qui animent les plans d’eau. Des lignes verticales noirâtres rappellent la végétation entourant le lac, leurs nombreuses variations tonales et formelles brisent l’horizontalité dominante et agitée. Des taches de rouge et de jaune réchauffent quelques-uns des grands paysages. Les plus petits tableaux monochromes sont plus épurés.

Choisir le monotype, c’est opter pour le procédé le plus direct du domaine de l’estampe. Il permet à Simonin d’intervenir spontanément sur la plaque à partir de laquelle son imprimeur tire ensuite une image unique.

L’urgence

Certains aspects des complexes compositions se révèlent seulement au regardeur patient, capable de s’immobiliser devant l’œuvre et de s’en laisser imprégner comme on le fait des beautés de la nature. Une calme assiduité du regard permet de voir les détails des interventions à la pointe sèche qui reprennent, de façon réduite et variée, les configurations des lignes plus larges. À certains endroits, une deuxième épaisseur de papier indique le recours probable à la délicate technique du Chine collé pour moduler subtilement le support. Une observation attentive révèle donc un second niveau d’écritures, plus intimes, plus ténues et tout en finesse.

Sans titre. Techniques mixtes sur papier, 167 x 140 cm. Photo: Alexis Paradis
Sans titre. Techniques mixtes sur papier, 167 x 140 cm. Photo: Alexis Paradis

Les dimensions des monotypes reprennent les rapports de proportions des fenêtres. Tels des viseurs isolant des fragments du monde extérieur, ces écrans encadrent les signes dessinés comme s’il s’agissait de témoignages. Certaines caractéristiques du style expressionniste indiquent une inversion du sens. La simplification des formes, l’usage des couleurs pures et saturées juxtaposées aux intenses traits noirs attestent la sujétion des formes à l’urgence du message. Les représentations qui semblent dépeindre la réalité extérieure traduisent davantage des états de l’être. Avec une assiduité au motif héritée de la démarche impressionniste, les scènes champêtres rendent bien compte de l’instant que manifestent des changements de lumière ou de couleurs imposés par le passage du temps. Mais sous un apparent éloge de la nature, les propriétés visuelles, quant à elles, décrivent davantage des paysages intimes, saisis puis fixés sur les feuilles à l’intérieur des châssis. Ce sont des récits mnémoniques découpant des ouvertures sur le panorama intérieur du vivant. Instantanés, états qui donnent généreusement à voir les mises en signe de ces ardents mouvements de l’être, de la profonde et féconde agitation d’où surgissent les images.

La fougue

Si le temps qui passe peut procurer une certaine sagesse, un soupçon de sérénité, un apaisement susceptible d’adoucir les formes et de pâlir les teintes, Simonin refuse un tel programme. L’octogénaire continue d’animer ses images de la même ferveur, de la même brûlante impatience dont l’impulsion précipite les formes. La série Vu de ma fenêtre traite un thème apparemment beaucoup plus contemplatif et moins concret que la danse ou que les figures du corps humain. Mais le mouvement persiste, il résiste. La fougue, l’ardeur, l’emportement, l’impulsivité du geste continuent de faire jaillir des formes et d’investir les images d’une fluidité issue de l’intérieur. La fenêtre est un miroir.

Notes biographiques

Née en 1936 à Lausanne en Suisse, Francine Simonin vit et travaille à Montréal depuis 1968. Au cours des quarante dernières années, elle a présenté plus de deux cents expo­sitions individuelles, principalement en Suisse et au Canada, mais également en France, aux États-Unis et en Espagne. Au cours de sa prestigieuse carrière, elle a remporté de nombreux prix et distinctions, notamment, le Prix de la première Biennale suisse de gravure à Genève (1968), le Prix Loto-Québec à Montréal (1981), le Prix Irène Reymond pour l’ensemble de son œuvre à Lausanne (1986), le Prix de l’estampe à la Biennale du dessin, de l’estampe et du papier à Alma (1993), ainsi que le premier prix de la 16e Internationale de l’estampe miniature de Cadaquès, en Espagne (1996). En octobre 2004, le Musée national des beaux-arts du Québec et la Fondation Monique et Robert Parizeau lui ont remis un prix soulignant sa contribution exceptionnelle à l’histoire de l’estampe au Québec. De prestigieuses institutions comptent des œuvres de Francine Simonin dans leurs collections : Musée d’art contemporain de Montréal, Musée national des beaux-arts de Québec, Musée de Genève, Bibliothèque nationale du Canada (Ottawa), Banque d’œuvres d’art du Conseil des Arts du Canada (Ottawa) ainsi que de nombreuses collections privées à travers le monde.


FRANCINE SIMONIN – VU DE MA FENÊTRE
Galerie Lacerte art contemporain
du 7 avril au 5 mai 2018