Françoise Tounissoux
En plein centre
Notre rapport au monde « se rapporte tout autant au paysage intérieur qu’au paysage extérieur », affirme Pierre Dansereau en introduction à son ouvrage La terre des hommes et le paysage intérieur. Il se réfère d’ailleurs à l’expression du poète Gérard Manley Hopkins qui a traité de ses rapports à la nature à travers des lettres, des poèmes et son journal intime dans lequel il a traduit par le terme d’inskape cette relation au monde tant sensorielle que subjective.
Déjà dans les années soixante le philosophe Merleau-Ponty avait abordé cette question de notre présence au monde en tant qu’être : « l’énigme tient en ceci que mon corps est à la fois voyant et visible. »
L’œuvre de Françoise Tounissoux présentée au Centre national d’exposition de Jonquière La peau du monde : les éléments nous propose une mise en rapport avec les principaux éléments qui constituent l’état de notre monde. L’artiste aborde les éléments de notre univers terrestre ainsi que des « textures » qui nous renverraient à un « état interne de la planète selon un point de vue autant écologique que philosophique1. »
L’échelle de sa proposition plastique nous invite à pénétrer dans un environnement dans lequel les quatre éléments : le feu, l’eau, l’air et la terre nous entourent et nous incitent tant par la proposition visuelle que sonore à une sensibilisation à notre environnement. Dans cette exposition, l’artiste présente les deux premiers corpus de la série, soit l’eau et le feu. Dans son texte de présentation, elle nous informe qu’un troisième corpus, dédié à l’élément air, viendra clore cette réflexion.
Dans ses œuvres antérieures, on pense ici plus particulièrement à la série Te souviens-tu du temps où on souffrait tant, Françoise Tounissoux nous a habitués à un dépassement du format traditionnel de l’art pictural, échelle des toiles peintes, découpage du format au gré de la forme. L’œuvre picturale s’imposait sur le support-mur par un format à une échelle envahissante de la surface murale. La dimension de la salle d’exposition du Centre culturel de Jonquière offre un large espace qui facilite une introduction du spectateur dans le propos spatial et philosophique de l’artiste. Cette exposition donne suite à un long travail de recherche à partir duquel l’artiste a transformé son approche formelle et technique, ce qui permet au spectateur d’entrer physiquement dans la proposition plastique de l’artiste. Une fois franchie la porte de la salle d’exposition, le spectateur se trouve dans le centre d’une proposition spatio-temporelle où l’image et le son entourent sa position. À gauche, l’eau et un léger bruissement, à droite, l’aube, une eau calme sur laquelle une mappemonde rouge flotte ; crépitements du feu, le globe terrestre s’embrase, le ciel rougit, de sombres lueurs incandescentes s’étirent lentement, puis le noir. Au mur gauche, la mappemonde réapparaît, la vague s’anime et la terre disparaît pour ressurgir contre une roche et redevenir une planète bleue qui dérive doucement vers un rivage qui semble accueillant.
Le dispositif auquel nous soumet Françoise Tounissoux nous situe au centre de l’œuvre. La projection des éléments naturels (l’eau et le feu) sur les deux murs opposés de la galerie nous place dans une position centrale différente de la proposition paysagiste et latérale qu’impose un tableau traditionnel. Nous sommes dans un rapport spatial et non frontal avec l’œuvre. La proposition plastique de par son échelle nous interpelle de gauche à droite et de droite à gauche par un mouvement obligé de la tête, curieux que nous sommes de voir les deux projections en même temps.
L’échelle spatiale nous environne et nous invite à un déplacement libre dans le contexte de la salle d’exposition. Ainsi, nous échappons au regard fixé par le tableau traditionnel. L’œuvre nous entoure. Nous sommes au centre du mouvement de la planète terre qui pérégrine d’une eau enflammée à droite à une eau tranquille à gauche. Nous sommes au centre de cette animation ; elle nous interpelle par rapport et en rapport avec l’échelle de la planète qui côtoie le feu et l’eau. Dans cet environnement créé, l’échelle petite de notre planète, tel un ballon, nous interpelle comme vivant, par rapport à cette boule dont l’échelle est devenue inférieure à celle de notre corps au sein de cette salle.
Est-ce nous qui avons réduit notre planète à cette boule qui pérégrine d’une eau à une autre ? De quoi sommes-nous responsables ? Pourtant l’œuvre n’est pas dramatique, elle nous conduit au centre d’un univers où nous côtoyons notre planète dans un environnement plutôt ludique. La fonction de l’espace dans cette œuvre est primordiale : nous ne sommes pas spectateurs, mais complices de cet « état interne de la planète » dont il est mention dans le texte introductif de l’artiste.
Plus loin, dans la salle, des images numériques (papier marouflé sur aluminium et impressions sur aluminium brossé), créées à partir de tirages d’éléments vidéographiques qui ont été recomposés, complètent la présentation.
(1) Françoise Tounissoux. Texte de présentation de l’exposition. Je travaille avec les éléments que je considère comme une peau, la peau du monde qui exprime l’état de la planète, aussi bien d’un point de vue écologique que philosophique.
La peau du monde : les éléments
Centre national d’exposition de Jonquière
Du 30 avril au 18 juin 2017