Irène F. Whittome, Rita Letendre, Marcelle Ferron, Marion Wagshall, Suzy Lake, Jean McEwen, Edmund Alleyn, Yves Gaucher, Serge Tousignant, Jacques Hurtubise, Léo Rosshandler, Ulysse Comtois, Armand Vaillancourt, Leonard Cohen, Guido Molinari, Michel Campeau, John Max … Tels sont les noms de quelques-uns des artistes aujourd’hui célèbres, mais relativement peu connus dans les années 1960, dont Gabor Szilasi a capté l’image au cours de réunions mondaines que l’on appelle des vernissages.

À en juger par les quelque 43 photographies en noir et blanc qui composent l’exposition Le monde de l’art, 1960-1980 à l’affiche du Musée McCord, ces artistes assistaient à ces réceptions soit parce qu’ils étaient honorés par une exposition de leurs œuvres, soit, la plupart du temps, en tant qu’invités dans l’attente qu’à leur tour une exposition leur soit accordée. Ils y côtoyaient des galeristes comme Mira Godard ou Gilles Corbeil, et des collectionneurs qui contribuaient à établir leur notoriété.

En 1960, Gabor Szilasi, qui avait fui la Hongrie peu de temps auparavant, venait d’arriver à Montréal. Prendre des photos lors de vernissages représentait pour lui le moyen de s’intégrer à la communauté artistique. Armé de son Leica 35mm (exposé sous vitrine avec un lot de planches de contacts), il avait pris l’habitude de fréquenter les vernissages d’expositions qui ponctuaient la vie culturelle et notamment celle des acteurs du milieu des arts visuels. « En ce temps-là, rappelle-t-il, il n’y avait qu’un ou deux vernissages par mois, alors qu’aujourd’hui il y en a au moins deux ou trois par semaine. » Fait étonnant : aucun photographe n’était assigné pour garder un souvenir de l’événement. Gabor Szilasi était le seul à prendre des clichés. De plus, il procédait de manière discrète, soucieux de capter des moments authentiques et non des poses conventionnelles.

En quelque vingt ans, entre 1960 et 1980, Gabor Szilasi a accumulé 3 600 photos. Elles sont restées inédites jusqu’à ce que Zoé Tousignant, historienne de l’art et commissaire de l’exposition, se charge d’en sélectionner une quarantaine particulièrement représentatives des visages, des lieux et de moments témoignant chronologiquement de la vitalité d’une époque où se sont épanouis les courants artistiques propres à la modernité au Québec. Et justement, les photographies de Gabor Szilasi s’inscrivent, elles aussi, dans un courant émergeant alors : celui de la photographie documentaire de caractère social.

On retrouve dans les instantanés de l’expo­sition, Le monde de l’art à Montréal, 1960-1980, le style photographique de Gabor Szilasi dont l’originalité, soutenue par six décennies de travail jalonnées de nombreuses expositions, est en germe, mais déjà reconnaissable.

Tout d’abord, le regard qu’il porte sur ses sujets ou sur leur environnement est celui d’un étranger, voire d’un intrus. Il surprend des gestes, il épouse des mouvements, il salue un signe de connivence dans une conversation : il emmagasine ces moments presque furtivement.

Ensuite, on se surprend à regarder les photos, aiguillonnés par un sentiment de vive curiosité (chacun se demande : Qui est cet artiste ? Est-ce que je le connais ? Est-ce que je le reconnais ? Mais oui, c’est bien lui…) sans se douter que c’est ce même sentiment de curiosité qui a sans doute animé le photographe soixante ans plus tôt. On décèle alors dans le cadrage la discrétion de l’œil du photographe teinté d’une tendre ironie. Car ce n’est pas vraiment le vernissage que photographie Gabor Szilasi, ce sont ses acteurs qui bavardent, qui partagent leurs idées, qui livrent un peu de ce qu’ils sont pendant 1/125e de seconde : éternité courte, mais qui se prolonge au moins jusqu’à aujourd’hui entre quarante et soixante ans plus tard ! Dommage que cette exposition ne soit pas accompagnée d’un catalogue.

Repères chronologiques

Lauréat du prix Paul-Émile Borduas (2009) et du prix du Gouverneur général du Canada (2010), Gabor Szilasi est considéré comme l’un des grands artistes photographes actuels.

1928 : naissance à Budapest (Hongrie)

1957 : arrivée au Canada

1959 : installation à Montréal

1959-1971 : travaille pour l’Office national du film (ONF); participe à des expositions collectives, notamment celles du Groupe d’action photographique; commence à photographier des vernissages et fait des portraits d’artistes.

1972 : collabore à Vie des Arts, Culture Vivante et Artscanada À partir de 1973, nombreuses expositions individuelles et collectives, acquisitions régulières de ses œuvres par les musées, commandes thématiques (portraits de poètes, bâtiments urbains).

1973 : enseigne au Collège du Vieux-Montréal.

1979-1995 : enseigne au Département de photographie de l’Université Concordia (Montréal).

1997 : Gabor Szilasi, photographies

1954-1996, première exposition rétrospective, Musée des beaux-arts de Montréal.

2009-2011 : L’éloquence du quotidien, seconde exposition rétrospective, Musée d’art de Joliette, Musée canadien de la photographie contemporaine (Musée des beaux-arts du Canada), Musée McCord, Kelowna Art Gallery (Colombie-Britannique).

Gabor Szilasi Le monde de l’art à Montréal, 1960-1980 Photographies
Commissaire : Zoé Tousignant
Musée McCord, Montréal
Du 7 décembre 2017 au 18 avril 2018