Geneviève Saumier – Entre l’anxiété et le plaisir
Geneviève Saumier propose une vision de la peinture qui réunit autant le processus de peindre que l’image et les qualités esthétiques qui en résultent. Son travail se présente comme une forme de retour au tachisme ; cependant, l’espace investi par l’artiste comporte des nuances qui vont au-delà du tachisme. En effet, il n’est ni plat ni en perspective : il se déploie entre les deux. Tout est fait avec un maximum de fluidité, sans emphase, mais avec un évident plaisir que l’artiste invite le spectateur à partager. Il est toujours possible de distinguer quelques vagues silhouettes, des fleurs, des structures anatomiques, ou des objets usuels dans les images de Geneviève Saumier. L’artiste accepte ce jeu, mais revendique la prépondérance de l’espace pictural comme tel et son autonomie.
Cela se traduit par un univers visuel propre, cohérent et fertile, indépendant de formules stéréotypées, d’effets de sérialité… Le geste, le tracé circulaire ou elliptique, la ligne courbe ou en spirale, des réticules et des réseaux chromatiques communiquent entre eux et s’enchaînent dans la même toile ou d’une toile à l’autre. L’artiste laisse les taches dégouliner, curieuse de « voir ce que ça donne ».
« Lorsque je peins, je ne veux pas revenir en arrière. Je n’efface pas. D’où aussi la peur… Ça prend une philosophie de l’action : je dois aller de l’avant ! » Geneviève Saumier explique qu’elle crée des univers. « Chaque tableau qu’on crée a sa propre personnalité. Il faut foncer avec cette personnalité. » Elle insiste : « Ça doit être lié au plaisir. »
Ce qui compte tient au processus de peindre. « Toute forme se dissout, juge l’artiste. Quand je vais trop vers la forme, je m’arrête : je veux faire du plus informel. Qu’est-ce qui arriverait s’il n’y avait pas de structure ? Je regarde ce qui surgit. J’essaie de me surprendre ! » Sur la toile, certaines couleurs dégoulinent, se mêlent, s’entremêlent. Les tracés circulaires cèdent la place aux carrés, aux courbes…
Sur le plan chromatique, l’artiste crée des harmonies particulières. Ce ne sont pas pour autant les tons complémentaires qui l’intéressent, mais le dialogue des couleurs primaires, tels le rouge, le bleu, leurs dégradés et valeurs. Les nuances du gris jouent un rôle très important comme élément de transition, comme agent de cohésion. « Mes gris : il y a des gris chauds, des gris froids. Tout le reste vit parce que le gris est là. Le gris est là, il est le “boss” qui met l’employé en valeur. » Comment fonctionne le chromatisme, quel est le processus de sa mise en place ? « Tu fais des taches, tu te retrouves avec un désordre total… comme un texte ou une mélodie… il y a une intention, tu construis l’intention, et comme ça devient trop ordonné, il faut construire ensuite le désordre. » Le processus suit les modalités suivantes : ordre-chaos, élagage-structure.
Dans Régate de casseroles, l’espace est suggéré par des valeurs non saturées, rouges et bleues ; ces teintes sont mises en évidence par un emploi modéré des gris. Dans Opération jaguar, des plages chromatiques s’écoulent. D’amples mouvements de pinceau curvilignes provoquent de légères inharmonies chromatiques roses et moutarde, parfois de francs désaccords qui attirent l’attention de l’œil. Dans Popsicle, on peut deviner de subtiles évocations de boue et de poussière, un fragment bleu ciel par ci, un fragment bleu mer par là. Dans Têtes de pipes, sur une note fondamentale bleue, à laquelle répondent rouges, roses et gris, des calligraphies vigoureuses évoquent en sourdine, « à demi-teinte », des ombres, des formes humaines.
Dans le registre de l’art informel animé par un certain vitalisme, cette peinture relève de l’abstraction lyrique, avec sa charge de mystère et de poésie. « La résolution de l’image repose dans une position confortable entre l’ordre et le désordre », estime l’artiste. L’accent est mis sur le processus de peindre : curieusement, autant il y a de spontanéité, autant il y a de conscience de ce qui est en train de se faire. « Ça devient vertigineux, tout est possible. » Par ailleurs, il y a le rapport à la peur de trop oser : « Si tout est possible, pourquoi est-ce que je le fais ? » C’est le zen, la corde raide, tout le long du processus créatif.
L’exploration est intrinsèque dans cette peinture qui veut écarter la répétition des structures. En intention et en geste, elle vise l’innovation constante, la régénération sans répétition en utilisant un remarquable répertoire de formes.
GENEVIÈVE SAUMIER – CHERCHER LE TROUBLE
Galerie d’art contemporain Visual Voice
372, rue Sainte-Catherine Ouest, Local 421, Montréal
www.visualvoicegallery.com
Du 1er au 17 décembre 2011