Hasard, espace, science et climat
En ouvrant sa galerie en juin 2013, Juno Youn s’est fixé pour mandat d’accueillir des artistes locaux et émergents. Pari tenu puisque l’exposition Nouveaux artistes est le fruit de rencontres récentes et fait la part belle à quatre artistes locaux.
De l’utilisation de photographies comme point de départ de la création à l’accumulation des couches de matériaux pour distordre et altérer le temps et l’espace, les artistes, par le truchement de leurs œuvres exposées, se répondent naturellement.
Les baigneuses, figure intemporelle de la femme
Le point d’ancrage du travail de Cluca est le fruit du hasard. De vieilles photographies découvertes chez des brocanteurs ont inspiré l’artiste. Les études qu’elle a tirées des images de corps de baigneuses et de leur structure déséquilibrée ont cette particularité qu’elles occultent toute forme de décors pour laisser parler ces présences de femmes. La texture de la peau et sa pigmentation deviennent des cartes destinées à « lire » l’enveloppe charnelle et son histoire propre. L’artiste instaure ainsi un dialogue entre mémoire individuelle et mémoire collective.
Après avoir suivi des cours à l’École d’art dirigée par Jörk Kalkreuter à Hambourg (Allemagne) jusqu’en octobre 2007, Cluca s’est établie à Montréal en 2011. Avec le collectif L’œuf 425, elle organise des événements et entretient des échanges avec des artistes émergents de la scène locale.
L’espace comme structure de la pensée sociale
Les dessins épurés de Jaresova mettent en scène des personnages à l’air résigné. La forme et les lignes rigides des décors agissent comme une contrainte qui restreint le champ d’action des protagonistes. L’artiste est originaire de la République tchèque, et ses décors évoquent directement les constructions de l’ex-bloc soviétique et leur fonction dans le contrôle des masses. En prenant appui sur des photographies d’époque, Jaresova explore la relation entre architecture et idéologie politique. L’absence de références contextuelles invite le spectateur à s’interroger sur l’élaboration d’une mémoire collective autour de la contrainte que représente l’espace social.
La rencontre entre Juno Youn et Alzbeta Jaresova a eu lieu il y a quelques années, lorsque celle-ci terminait un baccalauréat en beaux-arts (peinture et dessin) à l’Université Concordia. Elle réside désormais à Londres, où elle figure parmi les 100 artistes de l’année 2013 dans le Catlin Guide.
Le temps figé sous la cire
John Drew Munro présente sa série Brightness Falls From the Air inspirée de la lecture du chapitre V du Portrait de l’artiste en jeune homme de James Joyce. Fasciné par la structure interne des choses, son travail à l’encaustique constitue une étude scientifique des mots.
Fondé sur l’accumulation des couches de cire selon un procédé minutieux, le microcosme de Monro finit par constituer une surface en laissant apparaître des pigments aux formes altérées. Les points de couleurs ainsi figés dans la cire rappellent ce que l’on peut observer à travers une lentille de microscope. Inspiré par le rythme des phrases de Joyce, le temps est figé, capturé sous les aplats, et engage le regardeur à s’arrêter un moment pour méditer.
La fontaine espace de tous les possibles
Artiste multidisciplinaire, Alisha Piercy utilise des cartes postales anciennes de la fontaine Tivoli à Rome comme support à sa création. Elle poursuit sa série Foutainside, commencée à AXENÉO7, à Gatineau, puis à la Galerie Diagonale à Montréal en 2013.
La structure de base de la fontaine sert de point de départ à l’artiste qui y superpose ensuite ses dessins par couches successives. Une fois imprimé, le rendu final déclenche une sensation de relief et de profondeur. La notion d’espace est en effet essentielle dans l’approche de l’artiste. En exagérant les formes et leurs positions initiales, l’œuvre finit par dégager un climat inquiétant et mystérieux. La fontaine devient alors un espace de transition où tout se transforme. L’esthétique des formes classiques et contemporaines de la peinture se confond dans l’art de Piercy qui associe, selon ses propres mots, son mode d’expression à « un conte fantastique ».
NOUVEAUX ARTISTES JOHN DREW MUNRO, CLUCA, ALISHA PIERCY, ALZBETA JARESOVA
Galerie Youn, Montréal
Du 25 janvier au 9 mars 2014