Le Musée McCord frappe un grand coup pour célébrer le 150e anniversaire de la Confédération canadienne et le 375e de Montréal avec une exposition monographique sur William Notman (1826-1891), mettant en valeur le plus impressionnant fonds photographique de l’histoire canadienne.

L’exposition Notman, photographe visionnaire se décline en quatre thèmes qui dévoilent le génie de l’homme et l’excellence de son travail. En trame de fond, on y lit la naissance d’un pays assujetti à la Couronne britannique, un patriotisme canadien avéré et un tableau très élaboré de la société canadienne-anglaise de Montréal au XIXe siècle.

La première section de l’exposition permet d’apprécier un trait de caractère de William Notman, qui le place d’emblée parmi les esprits créatifs et visionnaires. Après la faillite du commerce familial dans son Écosse natale, il immigre à Montréal avec sa famille. Auparavant, il avait pratiqué en amateur la photographie, technique de production d’images inventée depuis peu de temps. Fort de ce savoir-faire, il a l’idée de lancer le tout premier studio de photographie du Nouveau Monde des colonies britanniques d’Amérique du Nord.

La photographie deviendra une passion pour Notman ; il sera de ces avant-gardistes qui poussent toujours plus loin les prouesses techniques, qu’il appliquera dans le but de documenter la société de l’époque et de diffuser les images produites, ainsi que dans les standards artistiques de la représentation et les trucages photographiques. Il sera des premiers à revendiquer le statut d’art pour la photographie !

Le sens du marketing avant l’heure

Son entreprise, qui devient très rapidement prospère, mise sur la clientèle bien nantie d’un Montréal en plein essor économique. Notman a le sens du marketing : la séance de pose dans ses studios est proposée comme un véritable processus d’affirmation identitaire pour le modèle qui est invité à se définir dans des mises en scène élaborées. Il publie même un petit livret pour préparer ses clients avant leur venue en studio. Le succès commercial de Notman le mènera à ouvrir jusqu’à 26 studios en Amérique du Nord (Canada et États-Unis), mais, surtout, d’ouvrir des secteurs prometteurs, par exemple la documentation photographique du territoire (en particulier du vaste pays qu’est le Canada), les recherches sur les procédés de manipulation de l’image et les techniques de reproduction des images photographiques à grande échelle par la photogravure.

Son travail de photographe et de portraitiste l’amène à côtoyer le « grand monde », des gens instruits et riches. Fréquenter cette société lui vaut de prestigieuses commandes, comme celle de documenter les étapes de la construction du pont Victoria (1854-1859). L’ouvrage assure le lien ferroviaire entre l’île de Montréal et sa rive sud. Ce projet photographique sera réalisé en stéréoscopie (technique d’imagerie 3D) et remis en cadeau au Prince de Galles. Dans l’exposition, on peut admirer les deux albums de très grand format reliés dans des caissons en bois d’érable ainsi que des appareils optiques pour visionner les images en stéréoscopie. D’ailleurs, un diaporama peut également être visionné avec des lunettes spéciales pour vision 3D et le résultat est à couper le souffle.

Par souci du cadre historique de ce fonds photographique, composé principalement de négatifs sur verre à une époque où l’agrandisseur photographique n’était pas en usage courant, les tirages par contact exposés respectent le format original du négatif. Malgré les petits formats, le grain et la qualité technique sont remarquables. Néanmoins, pour permettre aux visiteurs de mieux admirer les détails des compositions, des images en très grand format se déploient sur des cimaises lumineuses ou sous forme de projections.

Sensibilité artistique et prouesses techniques

Dans une section consacrée à son art, principalement au travail réalisé dans son studio de photographie, on peut admirer les qualités artistiques de ses photographies. Notman n’était pas seulement un homme d’affaires, il avait aussi une sensibilité artistique aiguë dont il tirait parti. Il revendiquera un statut artistique à ses cadrages, à ses compositions et ne sous-estimait pas la valeur symbolique du décor et des accessoires, suivant des critères reliés à la peinture et aux canons de l’histoire de l’art. Il s’entourera d’ailleurs de peintres et embauchera des artistes qu’il traitera presque comme des associés. En outre, il savait persuader ses modèles de sortir de certaines plates convenances pour oser des images moins conventionnelles. Convaincu de la valeur identitaire d’un portrait photographique, il n’hésitait pas à provoquer une certaine théâtralité pour interagir avec ses modèles-clients.

L’exposition donne la chance de comprendre les procédés utilisés par Notman pour ses manipulations de l’image en travaillant ses épreuves par collage. On peut admirer ses grandes photographies composites – littéralement bricolées – de panoramas où figurent de grands groupes de personnes. Ces tableaux sont le résultat de multiples séances de pose en studio avec des petits groupes de modèles, dont les images détourées sont incorporées avec toutes les autres sur un fond photographié ou peint. Certains de ces paste-ups permettent de saisir l’audace technique qui mène directement aux techniques de manipulation de l’image en vigueur aujourd’hui, bien sûr, mais qui a surtout contribué au développement des techniques de reprographie (reproduction des images photographiques en imprimerie) qui viendront peu après.

Une inestimable documentation

La dernière section de l’exposition, intitulée Notman le bâtisseur, offre de mesurer un peu le travail documentaire colossal que le studio Wm. Notman & Son a réalisé : le Canada photographié d’un océan à l’autre, une banque d’images ines­timable des villes, paysages, infrastructures, habitants, autochtones, depuis les grandes agglomérations jusqu’aux coins les plus reculés, de la fin du XIXe au tournant du XXe siècle. Il fallait bien ajouter une dose d’aventure pour compléter ce portrait de William Notman, cet authentique Canadian.

L’exposition intègre de nombreux objets de la collection : des stéréoscopes, des albums, des publications touristiques, le célèbre album photographique du Canada, des livres de comptes et attributs divers de l’entreprise, des registres… D’ailleurs, une des caractéristiques de l’incroyable fonds d’archives photographiques est que le système de classement mis au point par Notman lui-même pour gérer cette quantité astronomique d’images est si performant que les conservateurs l’utilisent toujours.

Le volume d’images de ce fonds est si considérable qu’il recèle encore matière à réaliser bien d’autres expositions. En tout cas, Notman, photographe visionnaire a le mérite de couvrir largement le sujet tout en répondant de façon fort opportune aux célébrations du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, ainsi qu’aux nombreuses activités associées au 375e anniversaire de Montréal.

Notman, photographe visionnaire
Commissaire : Hélène Samson
Musée McCord, Montréal
Du 4 novembre 2016 au 26 mars 2017