Inspirez… Contemplez

À l’entrée de l’exposition, un texte vous accueille :
« La 8e édition de la Rencontre photographique du Kamouraska convie le visiteur à stopper sa course effrénée quotidienne, à ralentir le pas et la pensée pour contempler, comprendre et observer l’expérience de la lenteur. »
Cet avertissement semble anodin. Après tout, c’est l’été, la saison des vacances, personne n’est censé être pressé. Pourtant, cette boutade provoque une résistance, déclenche un réflexe de survie. Comme si on se faisait prendre en otage dans le temps, on se demande : « Combien de temps ? Une heure ? Combien ça coûte, une heure ? Est-ce que je vais perdre mon temps (et mon argent) ? » Cette exposition intelligente nous coince brutalement dans le malaise qui occulte notre relation avec le temps.
Méandre de Patrick Beaulieu combine plusieurs supports : vidéo, objets trouvés et fabriqués, cartographie, etc. Très conceptuelle, l’œuvre immersive relate une performance d’art-action qui remonte à 2014. Pendant 25 jours, l’artiste s’est laissé dériver dans une embarcation sur la rivière Missisquoi en Estrie jusqu’à l’océan Atlantique, à l’embouchure du fleuve Hudson dans l’État de New York. Cette singulière expérience dresse un « portrait temporel » de notre environnement. Simultanément, elle questionne notre rapport au temps : existe-t-il un temps qui échappe à la frénésie de notre époque ? Est-il possible de capter le moment présent, par essence insaisissable, car toujours en fuite ? La réponse se lit avec les images, poèmes, vidéos, photographies et objets qui témoignent de ce périple de la lenteur, là où l’on n’exerce plus aucun contrôle sur le temps (comme partout ailleurs, pour peu qu’on y pense).
Un caractère œcuménique
L’idée de l’eau qui s’écoule dans le lit des rivières est une métaphore efficace, puisqu’elle associe des données physiques comme la topographie et la gravité terrestre qui contribuent à rendre tangible ce temps qui, autrement, demeurerait abstrait. Ce point de vue oblige à prendre conscience à la fois du temps qui passe et du paysage qui se décline, candide et intègre, dans toute sa vérité. L’ensemble peut froisser notre impatience, notre besoin de contrôle, ou à l’inverse, offrir un contact sensible avec la notion de lenteur, si complexe à introduire dans une œuvre visuelle, mais aussi, disons-le, si difficile à accepter de nos jours.
C’est en combinant la photographie numérique et la technique de la camera obscura que Steve Leroux a créé la série Laisser entrer la lumière. Archaïque, cette méthode oblige à des temps d’exposition plus longs pour capturer l’image sur les sels d’argent. Emprisonnée dans la boîte noire, la caméra numérique tient le rôle de la pellicule argentique. Le temps d’exposition requis pour la capture de l’image pourrait correspondre à la durée moyenne d’un souvenir humain. Imprécis et difficiles à discerner, les sujets embrouillés qu’on devine sur les photographies sont comme les souvenirs. Leurs images fugaces se perdent, elles s’effacent et se fluidifient. Puisque les scènes photographiées ne correspondent pas à la saisie d’une milliseconde, mais à celle d’un instant plus long, elles offrent une tranche de temps dont le début et la fin sont vagues, ajoutant un caractère œcuménique à une imagerie intime, anonyme et familière.
Êtes-vous contemplatif ? Vous le saurez très vite en vous installant devant l’œuvre vidéo de Pierre Blache. L’artiste a utilisé une banque de captages photographiques et sonores collectés lors de sa Résidence de création au Kamouraska tenue au cours de l’année 2016 et en a fait un film d’animation qui rappelle une pièce musicale. Les images de détails du paysage, en apparence tous similaires, présentent une variable visuelle subtile et progressive dans la composition. Pour peu qu’on s’abandonne devant les textures et les lignes, elles nous plongent dans un état méditatif, comme l’a probablement fait le paysage réel dans la tête de l’artiste au moment de ses déambulations.
Cette exposition témoigne d’une grande économie de moyens, avec des œuvres qu’habite néanmoins une grande complexité. L’avertissement placardé à l’entrée du Centre d’art, la mise en espace efficace dans une suite de petites salles rendent bien justice aux œuvres.
Parcours photographique
Un circuit photographique hors les murs complète l’exposition. Il se déploie dans les différents villages du Kamouraska, répertoriés sur une carte de la région. Belle occasion de promenades impromptues ! Cependant, il est difficile d’intégrer l’art dans un tel paysage, car les panoramas de la région du Kamouraska sont très spectaculaires. Pour rendre justice à des œuvres photographiques de qualité en les juxtaposant avec succès au paysage, il faudrait des installations beaucoup plus importantes, du mobilier urbain permanent. L’idée d’intégrer la photographie dans la campagne du Kamouraska est certainement à poursuivre ; toutefois, il faudrait que les œuvres soient réellement en mesure de dialoguer avec le paysage.
Géographie de la lenteur Rencontre photographique du Kamouraska (8e édition)
Commissaire : Franck Michel
Centre d’art de Kamouraska
Du 17 juin au 5 septembre 2016