En haut des marches du monumental escalier du pavillon Michal et Renata Hornstein, Jean Paul Gaultier en personne accueille le visiteur. Ou du moins, son double : un mannequin sur la face duquel est projeté le visage animé du couturier. Tel un hôte recevant ses invités, il nous salue, raconte ses souvenirs d’enfance, des anecdotes, explique sa démarche, le contenu de l’exposition. Les traits sont expressifs, les clignements d’yeux et les tics bien présents. Le visiteur, mis en confiance — et surtout en appétit ! —, est fin prêt pour la suite…

La suite aura les couleurs et le goût de ce hors-d’œuvre. Nous sommes loin des salles d’exposition aux couleurs de prison, aux mannequins décapités pendouillant dans des lueurs blafardes. Place à la fantaisie, à l’humour, à la créativité, à l’originalité, mais aussi à la virtuosité ! En six salles (l’exposition aborde l’univers de Jean Paul Gaultier selon six thèmes : L’Odyssée de Jean Paul Gaultier, Le boudoir, À fleur de peau, Punk Cancan, Jungle urbaine et Métropolis), le visiteur a tout le loisir de découvrir les 40 années de création de « l’enfant terrible de la mode ». Quarante années de travail pendant lesquelles, assurément, la routine et la morosité n’ont pas été à l’ordre du jour. Jean Paul Gaultier ne cesse de renouveler son répertoire : si son nom est indissociable des pulls marins à rayures et des corsets-obus, s’en tenir là serait tristement réducteur. Heureusement, cette exposition, en mettant en scène environ 140 créations, montre les nombreuses facettes de l’inventivité de l’artiste.

Il s’agit bien, en effet, d’une véritable mise en scène : la plupart des mannequins affichent des visages animés grâce à des projections vidéo ciblées, parlent ou même chantonnent. Si certains semblent s’ennuyer, l’un d’entre eux est en grand conciliabule avec son double tandis que d’autres interpellent les visiteurs. Chaque salle a son propre parfum, son atmosphère particulière : la salle des corsets s’affiche intimiste, plus petite, drapée de rouge ; dans la salle du défilé, on entendrait presque le crépitement des flashs ; le coin des tricots rayés et des longues jupes drapées bleu marine fait penser à un quai où des matelots en balade nous apostrophent.

Cependant, le Musée des beaux-arts de Montréal ne se contente pas de présenter un magnifique défilé de mode. Tout au long de l’exposition, pour qui veut approfondir un peu sa visite, la démarche du créateur est expliquée, ses prises de position – souvent fortes – développées.

Le couturier pioche dans la vie quotidienne des éléments qu’il détourne et transforme. « J’aime voir les choses sous des angles inhabituels et remettre en question l’attendu », affirme-t-il. La collection des punks et celle des vêtements ethniques sont deux exemples significatifs de ce parti pris. Son message de tolérance transparaît dans ses créations, où la femme androgyne côtoie l’homme-objet, au narcissisme assumé. « Soyez vous-même », « revisitons les notions de chic et d’élégance », semble crier le couturier.

Quant aux matières utilisées, Jean Paul Gaultier ne connaît aucune limite. Costumes mêlant jeans et plumes dans des camaïeux de bleu, ombrelles et chapeaux constitués de cheveux, sacs en feuilles de banane, robes de bal en toile de camouflage, plastron brodé de perles simulant à la perfection une peau de léopard, bijou en boîte de conserve, cuirs, boutons, rubans, peaux de serpent, métal, soie…, la surprise guette le visiteur à chaque nouveau mannequin.

Impertinence à la clé

Enfin, et ce n’est pas la moindre qualité de cette exposition, l’impertinence et l’humour sont présents à chaque détour. Défilant sur le podium, un mannequin porte une veste de tailleur accrochée par des bretelles, le dos complètement nu, comme les poupées de papier qu’on habille en fixant les vêtements avec des pattes repliées. Un autre porte une combinaison intégrale en tissu pied-de-poule, comprenant cagoule, gants, chaussures et parapluie ; pas un seul centimètre carré de peau n’apparaît. Dans une autre salle, une combinaison moulante couleur chair est brodée de perles noires pour figurer la toison pubienne tandis que les mamelons des seins pointent, eux-aussi rebrodés. Au mur est accrochée une photo de Naomi Campbell, vêtue de cette création que complète un imperméable jeté négligemment sur les épaules. Robe vert pomme à sèche-cheveux intégré, maillot de bain avec sac-bouée et chaussures-palmes figurent également parmi les costumes improbables créés par Jean Paul Gaultier.

Un vent de folie et de liberté a soufflé tout l’été au Musée des beaux-arts. Puisse-t-il continuer à envelopper la ville, et laisser aux visiteurs un message de tolérance ainsi que l’envie d’originalité dans leur vêture.

LA PLANÈTE MODE DE JEAN PAUL GAULTIER : DE LA RUE AUX ÉTOILES
Musée des beaux-arts de Montréal
Pavillon Michal et Renata Hornstein
1379, rue Sherbrooke Ouest, Montréal
Tél. : 514 284-2000
www.mbam.qc.ca
Commissaire : Thierry-Maxime Loriot
Du 17 juin au 2 octobre 2011

L’exposition La planète mode de Jean Paul Gaultier. De la rue aux étoiles, initiée, conçue et produite par le Musée des beaux arts de Montréal, partira ensuite en tournée à Dallas, San Francisco, Madrid et Rotterdam.