Le titre de cette prestigieuse exposition est le même que celui donné au bronze monumental qui dorénavant monte la garde devant l’édifice du 1700 La Poste. Cette œuvre, commandée à l’artiste par Isabelle de Mévius (directrice du 1700 La Poste) au tout début du processus d’élaboration de l’exposition, a servi de point de départ à la production récente de Jean-Pierre Morin.

Lorsqu’on pénètre dans l’espace de la galerie, on aperçoit une série (première pour l’artiste) de neuf élégantes formes cambrées regroupées sous le titre Sortie du rang ; il s’agit de répliques de l’œuvre monumentale Entre terre et ciel, qui se dresse désormais devant le bâtiment du 1700, rue Notre-Dame Ouest. Huit formes en résine d’époxy, blanches comme des os et rangées comme un groupe de ballerines ; une seule en aluminium chromé, éclatante présence, se démarque de ses compagnes ; elle sort du rang et attire l’attention. Tout à côté s’élève Obsession, pièce unique en bronze de forme similaire au fini plus tactile. La pièce est accompagnée d’une série de dessins préparatoires, témoignant du geste répétitif d’où naît la forme. Cette œuvre est antérieure à Sortie du rang, mais la recherche formelle de cette dernière et de l’œuvre monumentale Entre terre et ciel en découle directement : toute en grâce et en délicatesse, la trombe, car c’est bien d’une trombe qu’il s’agit, évoque un corps en mouvement.

Les nombreux dessins qui entourent les sculptures attestent le considérable et systématique travail périphérique sur papier du sculpteur ; il s’agit d’une exploration gestuelle qui s’affiche surtout comme un acte de libération, une catharsis : « Je cherche à me libérer de la pensée, du contrôle, pour laisser une forme, une présence se manifester sur le papier, sans tenir compte de la moindre considération matérielle », explique Jean-Pierre Morin. C’est ainsi que l’artiste trouve « l’essence de l’objet », en l’occurrence la sculpture qui se révèle dans l’émergence des figures spontanées qu’il réalise au graphite, modulées à la gomme à effacer, suggérant des volumes improbables et des formes libres. « Ces dessins sont un peu comme des sculptures immatérielles », précise-t-il.

Autre pièce importante de l’exposition, l’imposante forme creuse Météore se propose comme une structure organique s’apparentant à un gros fruit charnu. Jean-Pierre Morin indique que les perforations qui s’étendent sur toute sa surface agissent plutôt comme « des ouvertures qui révèlent d’autres espaces » : intérieur, extérieur, au travers, positif, négatif. Ces ouvertures – réparties au hasard en évitant toute régularité – permettent ce que l’artiste nomme « la prise de possession de l’espace non géométrique ».

Des dessins de 1978, complètement inédits, accompagnent l’œuvre Météore. Ces dessins sont à l’origine de cet « aléatoire fondateur » propre à la sculpture de Jean-Pierre Morin. Il raconte que ce besoin de se libérer du geste convenu, pré-pensé, qui muselle la disponibilité de l’artiste « pour découvrir de l’inexploré et créer du nouveau » s’est manifesté lors de la réalisation de ces dessins lorsqu’il était encore étudiant. Le défi consistait à dessiner exactement le contraire de ce que la main veut faire. « Je cherche à briser le contrôle, amener l’imprévu. Je cherche toujours des moyens d’éviter l’organisation et d’introduire l’aléatoire. »

Contrastant avec les rondeurs des sculp­tures aux formes organiques, (comme le feraient des structures architecturales dans un jardin), les œuvres de la série 22,5° (2009) sont des pièces plus géométriques à la facture industrielle qui ont été réalisées avec l’assistance d’un ordinateur. Dans certains cas, il s’agissait de respecter rigoureusement une régularité mathématique ; mais, dans d’autres cas, c’était spécifiquement pour éviter toute régularité. Mais alors, pourquoi ne pas avoir simplement disposé le tout aléatoirement, à la main ? « Parce qu’on ne peut s’empêcher de chercher l’ordre, la régularité, la convenance. Je cherche à éviter ce piège qui est présent à chaque instant. Mon but est de surprendre, de montrer ce à quoi on ne s’attend pas “confortablement” ; je veux confronter le spectateur. »

Une exposition signée 1700 La Poste

L’exposition Entre terre et ciel évoque le vent et prend la forme d’une trombe. Pour Isabelle de Mévius, ce mouvement de torsion intégré dans des œuvres aux formes tant organiques que géométriques constitue le marqueur qui a engagé le processus de sélection des œuvres. Certaines ont été choisies lors de visites à l’artiste dans son atelier de Québec. D’autres pièces ont été empruntées auprès d’institutions ou de particuliers, cherchant à donner un éventail de propositions permettant de comprendre cette facette – la torsion – de la démarche de Jean-Pierre Morin. Enfin, plusieurs œuvres sont issues d’une production récente, expressément réalisées pour l’événement.

L’espace principal du 1700 La Poste laisse aux œuvres verticales un agréable dégagement. Le blanc des murs et des cimaises, les traits légers ou énergiques des nombreuses séries de dessins aux murs, la présence silencieuse des sculptures baignées d’une lumière blanche enveloppent le visiteur comme un paysage énigmatique. Les formes organiques ou industrielles qui ont en commun le mouvement de torsion, cohabitent dans l’espace sans le charger.

À la mezzanine, se trouvent des pièces de plus petites dimensions : des bronzes ou des assemblages d’éléments rivetés, en aluminium anodisé. Ces productions sont parentes des œuvres monumentales et des pièces issues de la recherche formelle de Jean-Pierre Morin.

Dans le petit espace au plafond très bas de l’ancien coffre-fort du 1700 La Poste (une ancienne banque), une sélection de maquettes de sculptures est présentée sur une table basse devant une photographie de l’atelier de l’artiste, créant un trompe-l’œil réussi dans cet espace réduit. On y reconnaît quelques-uns des nombreux projets d’intégration des arts à l’architecture réalisés par Jean-Pierre Morin, notamment Espace fractal, œuvre installée devant la façade sud de la Grande Bibliothèque, boulevard de Maisonneuve (Montréal).

Cette superbe exposition met bien en valeur l’importance du dessin dans le travail de sculpture de Jean-Pierre Morin. Les séries de dessins aux murs apportent une touche de spontanéité dans l’exposition, tout en dévoilant au spectateur comment le dessin précède la sculpture, en quoi le geste libéré peut faire naître l’espace et la forme. Sans doute une proposition de l’artiste – qui est aussi enseignant – de dévoiler en toute cordialité un peu de sa praxis.

JEAN-PIERRE MORIN ENTRE TERRE ET CIEL. 1700 La Poste, du 18 mars au 19 juin 2016