Jusqu’en 2018, le Musée des beaux-arts de Montréal propose une exposition originale qui met en parallèle des œuvres du passé et du présent. Mnémosyne : Quand l’art contemporain rencontre l’art du passé joue sur un dispositif qui permet une lecture renouvelée des œuvres, soutenue par un discours accessible au visiteur, initié ou non, qui le conduit à une découverte ludique et décomplexée des œuvres contemporaines.

L’exposition dans le Pavillon Jean-Noël Desmarais se compose de 14 œuvres d’artistes contemporains ; certaines sont issues de la collection du Musée (dont deux nouvelles acquisitions, un tableau de Dan Brault et une sculpture de Rebecca Belmore), d’autres ont été commissionnées ou empruntées. Chacune des 14 œuvres contemporaines est « jumelée » à une œuvre de la collection d’art international, collection récemment installée dans le nouveau Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein.

L’exposition Mnémosyne : Quand l’art contemporain rencontre l’art du passé s’inspire d’une méthode destinée à interpréter les productions artistiques, développée par Aby Warburg (1866-1929) dans son Atlas Mnémosyne. L’objectif de son ouvrage était de mener une histoire de l’art comparative, fondée uniquement sur l’image. L’Atlas Mnémosyne est une initiative unique qui modifie les conditions de lecture et d’interprétation des œuvres visuelles en les juxtaposant et en les maintenant à l’écart de tout autre contexte d’interprétation.

La commissaire de l’exposition, Geneviève Goyer-Ouimette, a actualisé la méthode de Warburg avec des rapprochements stylistiques ou formels, parfois thématiques, dans un jeu de libre association. Elle explique : « Il s’agit d’une invitation ludique à créer des ponts par des associations esthétiques entre les œuvres d’aujourd’hui et celles du passé. » Cette méthode, foncièrement intuitive et visuelle, pourrait se décliner dans une infinité de variantes, mettant chaque fois en lumière un aspect dans la continuité des thèmes et des préoccupations des artistes à travers les époques. Le contexte d’interprétation qui est donné pour la lecture des œuvres conserve certains codes de l’histoire de l’art, mais il se concentre surtout sur les éléments visuels présents dans les productions plutôt que sur l’analyse critique, technique ou chronologique.

Brouiller les codes

L’exposition propose des jumelages de genre – portrait, paysage – ou thématiques, par exemple les natures mortes de Dan Brault (S’attarder dans la demeure du temps (Vanitas), 2016) et de N.L. Peschier, (Vanité, 1660). Les deux tableaux ont en commun les éléments classiques suggérant le passage du temps et la mort, notamment le crâne humain. Ils soulignent dans les deux cas tout ce qui est vain dans l’existence humaine face au memento mori, rappel macabre qui signifie « souviens-toi que tu vas mourir ». Cependant Dan Brault actualise son tableau avec des symboles glanés sur Internet.

Toujours dans le genre de la nature morte, les deux propositions de l’artiste Kim Waldron, Animal Heads, 2010 et Méchoui, 2013, issues d’un processus d’expérimentation et de documentation s’apparentant à la performance, ont été associées à Nature morte aux fruits, oiseaux chanteurs, perdrix et lièvre morts, avec un chat et un perroquet, de Jan Fyt (1650). Dans ce dernier cas, la nature morte suggère une scène de la vie quotidienne paisible, montrant sans état d’âme le gibier déposé intact sur le plan de travail de la cuisine. Une telle composition contraste avec les questions éthiques soulevées dans le travail de Kim Waldron sur la consommation, de nos jours, de viande animale. Si autrefois l’acte de tuer était normalement associé à la nécessité de se nourrir, il est désormais évacué et caché sous l’abondance des emballages dont les présentations cherchent à faire oublier la provenance du produit. L’artiste a accompli ici le processus complet d’élevage, d’abattage et de boucherie des animaux, assumant pleinement la place qu’occupe l’humain au sommet de la chaîne alimentaire. Dans Animal Heads, les têtes empaillées d’une dizaine d’animaux abattus sont exposées comme des trophées. Cependant, avec leur curieux aspect bon enfant, cochon, mouton, poule et lapin, semblent sortis d’un album pour enfants et bouleversent encore davantage les codes, par association avec les animaux de compagnie.

Tout à côté, la sculpture de Rebecca Belmore et le tableau de Jean-Joseph Taillasson établissent un parallèle intéressant entre deux personnages repentants… ou humiliés ? Le Fucking Indian / Fucking Artist sur le dos du personnage représentant l’autochtone, agenouillé, la tête baissée et Marie-Madeleine repentante effectue un rapprochement intéressant entre deux types de rejets et interroge la notion du sacré et du profane. Ainsi, au fil de cette exposition captivante, Michael Snow et Salvador Dali se retrouvent dans des exercices de style, Mathieu Lefèvre et Pieter Bruegel le Jeune sont réunis sous le thème de l’irrévérence, Edmund Alleyn et Eugène Isabey offrent deux mises en scène de la mort… Chacune des 14 stations constitue donc une nouvelle approche du sujet considéré.

Un ton ludique

Les propositions de la commissaire Geneviève Goyer-Ouimette sont résumées dans de courts textes en français et en anglais, accompagnés d’une reproduction de l’œuvre de la collection d’art international. Le tout est imprimé sur des panneaux qui accompagnent les productions contemporaines. Les tableaux plus anciens sélectionnés ne sont donc pas physiquement présents dans l’exposition. Il est toutefois possible d’aller les admirer dans le Pavillon pour la Paix. Cet exercice amusant permet de voir sous un nouveau jour la collection permanente du Musée. Aucun indice ne permet, cependant, de localiser facilement les œuvres dans l’exposition permanente : il faut les chercher, dans une course au trésor qui peut s’avérer amusante. Cependant, il serait intéressant d’encourager les visiteurs à aller les contempler, peut-être à l’aide d’un document de soutien ou au moyen d’un panneau similaire à celui qui accompagne les œuvres exposées au Pavillon Jean-Noël Desmarais, temporairement apposé dans l’exposition permanente du Pavillon pour la Paix.

Mnémosyne est une exposition ludique très étoffée qui ouvre des alternatives inédites pour comprendre des œuvres contemporaines. Ce qui demeure toutefois de la visite de l’exposition tient à la certitude que les artistes du passé et du présent partagent beaucoup de préoccupations. Ainsi les thèmes de la mort, de la vanité, du fabuleux, du sacré, de la profanation et de la dérision sont récurrents et certaines questions existentielles pourraient trouver des réponses dans la constance- même de cet éventail de propositions.