Josée Landry Sirois. Du personnel à l’universel, du tragique au sublime
Collectionner des débris du quotidien, faire des listes de toutes sortes, s’inventer des codes secrets: autant de gestes que la plupart d’entre nous ont relégués à l’enfance et à ses jeux éphémères. Mais pour Josée Landry Sirois, ils ont persisté de
manière à ce qu’il ne s’agisse plus pour elle de jouer, mais de vivre à travers eux. Dévoilant une sensibilité qui est si uniquement la sienne, ses œuvres nous révèlent aussi à nous-mêmes, puisque dans chacun de ses collages, dans chacun de ses traits, nous ne sommes jamais bien loin.
Volcans regroupe de prime abord un ensemble imposant de dessins inédits. Sur des papiers pour la plupart blancs, mais parfois noirs, l’artiste a tracé au crayon ou à la plume le motif récurrent d’un volcan. Ça et là, des lignes et des symboles plutôt sombres se plaquent contre ce motif comme autant de manières de marquer l’espace: de minuscules huit s’alignent tel le cours sinueux d’une rivière, d’épaisses volutes miment des émis-
sions de lave, des points reliés par des droites évoquent des constellations. Intrigués, nous parcourons ces signes du regard comme si nous lisions des cartes topographiques. Parfois, l’artiste accompagne ses dessins de lexiques de couleurs qui renvoient à des sentiments, à des états. Aussi s’amuse-t-on à repérer dans la confusion des tracés les touches colorées de l’espoir, de l’intuition, de la tempérance. Tandis que les signes convoquent le réel, les mots se présentent de sorte à interpeller
l’intangible.
Tous ces tracés, qu’ils soient affirmés ou estompés, agissent de manière à traduire les états de turbulence qui habitent l’artiste. Il faut s’imaginer Landry Sirois attaquer le papier de tous ces coups de crayon, le saturant par endroits de traits nerveux
ou effaçant ailleurs ce qu’elle avait inscrit. En cherchant à établir des correspondances entre son intimité et les forces à la fois puissantes et sourdes qui l’entourent, elle jauge ses sentiments à l’aune de la cosmologie. Elle se dévoile sans se
ménager, mais se retient de tout dire. Questionnée sur la signification d’une phrase qu’elle a estompée dans l’œuvre intitulée Algèbre (2015), elle répond qu’elle souhaite que le spectateur la remarque, mais qu’il ne s’y attarde pas trop, soulignant par le fait même que l’art peut être un jeu.
LE VRAI ET LE FAUX, LA VIE ET LA MORT
Avec une retenue tout autre, l’artiste n’opère par ailleurs que quelques choix fort judicieux afin de nous mener vers cette idée de l’art en tant que jeu, en tant que faux-semblant. La tribu (2015) capte l’image de guêpes mortes que l’artiste a déposées sur une assiette parée d’une fleur. Landry Sirois dit avoir rehaussé avec de la cendre certains détails de la fleur, probablement par simple souci de contraste, mais l’on se plaît à penser qu’elle aurait pu le faire — paradoxalement — pour donner plus de vie à un décor un peu fané. Quant aux guêpes,
certaines semblent butiner alors que d’autres sont démembrées. Jouant sur l’ambiguïté des apparences, l’œuvre nous fait croire à une vie qui, en réalité, n’a plus cours, tout en nous rappelant les réalités inéluctables de la mort et de sa représentation.
Préoccupation constante, la mort se retrouve finalement dans les assemblages et les presse-papiers composés de débris du quotidien de l’artiste. Opposant la durée à ce qui s’arrête, Landry Sirois se sert de ses collections de finitudes comme elle
les appelle pour créer des œuvres d’art. Chacun des petits objets qu’elle préserve renvoie à un moment évanoui que l’artiste souhaite prolonger, commémorer. Ses assemblages d’allumettes craquées, de papiers découpés ou de charnières de métal se dressent ainsi comme des remparts contre la mort. Serrés les uns contre les autres, les objets forment des archétypes aux résonances universelles. Si l’artiste choisit ici de réexposer
certaines des œuvres qui relèvent de cette manière, c’est bien justifié, puisque de cette façon elle arrive à relier le minuscule à l’immense, le banal au grandiose, le tragique au sublime.
Avec des moyens somme toute simples — des crayons, de l’encre, des objets récupérés —, Landry Sirois parvient à embrasser toute la vie. Elle érige ainsi une œuvre forte et cohérente qui est une ode à sa propre nature dévorante, mais aussi à celles qui l’entourent. Ses œuvres ont ce quelque chose
d’excessif qui la caractérise, mais elles renvoient aussi à toutes les entreprises qui nous mènent, autant que nous sommes, vers nos quêtes respectives. Aussi se sent-on facilement interpellés par son travail, puisqu’il nous parle de nous en tant qu’enfants, en tant qu’humains, en tant que mortels.
JOSÉE LANDRY SIROIS. VOLCANS
Galerie Michel Guimont, Québec
Du 12 avril au 3 mai 2015