Julian Samuel – Le théâtre de la couleur
Un caractère dramatique intense domine les œuvres récentes de Julian Samuel, présentées à l’espace Georges Laoun. Les toiles semblent composées sous l’emprise de l’émotion ; elles transmettent un sentiment de surprise. Le geste pictural semble marqué par un mouvement rapide, or chaque tableau est constitué de maintes couches de peinture méthodiquement étalées au fil des jours et même des mois.
L’arrière-plan brossé renvoie à une conception romantique de l’univers. Romantique, car la nature, à la limite de l’abstraction, semble être le théâtre d’un combat où s’opposent de gigantesques forces, y compris celles qui tiennent à la personnalité de l’artiste. À la vue de ces toiles, on peut penser, toutes proportions gardées, aux agitations d’un Turner ou d’un Géricault. Dans le sillage de l’expressionisme et de l’expressionisme abstrait, le peintre manifeste une subtile assimilation des manières et de la rhétorique de ces deux maîtres.
Curieusement, de l’énergie et de la turbulence même qui inscrivent – qui gravent – ces tableaux dans la mémoire se dégage une forme de méditation. Elle marque un contrepoint au geste pictural à la fois grave et enjoué.
Le sens dramatique de la toile est souvent obtenu grâce au contraste entre des lueurs et des éclats de couleurs chaudes, telles que le rouge brique ou le jaune safran, juxtaposés à des traces de teintes sombres traversées de noirs. Des zones claires occupent des champs bien plus petits que les parties ombrées ; elles les illuminent et les font ressortir, suscitant une atmosphère de mysticisme ou de mystère. Serait-ce donc une forme moderne du clair-obscur ?
Des vecteurs de teinte noire criblent à leur tour des champs verts ou bleu foncé, se mélangeant presque avec eux. On garde néanmoins la sensation qu’il y a très peu de véritable fusion, de vrai mélange de couleurs, en dépit des proximités.
Dans Parc Lafontaine KB (2011), un jeu de bleu cobalt et de bleu noir connote ce qui pourrait être la mer et le ciel. Curieusement, des zones tirant sur le noir inscrivent ce style d’effet dans une tradition anglo-saxonne où se mêlent plaisir et émerveillement comme, par exemple, dans les Nocturnes de Whistler ou dans des scènes domestiques de Mary Cassatt… De là, le sentiment d’étrangeté et de nervosité que provoquent les excès de noir. Mais la surprise est atteinte chez Samuel par un effet explosif de rouge brique, qui traverse et éclaire la portion supérieure de la toile.
Nocturne Sable Night est une œuvre qu’anime une agitation turnerienne relayant la puissance indomptée de la nature. Aux reflets d’une nuit naissante, d’une nuit pesante, traversée de lueurs bleu très foncé, le peintre adjoint du relief – empâtements, textures du vernis – qui ajoute des accents angoissants à l’obscurité. Tel est le cas d’une marine où s’insinuent les silhouettes de navire…
La forte gestualité qui marque les œuvres semble beaucoup devoir à l’action painting. Cependant, Samuel précise que sa démarche repose sur une intentionnalité formelle. La toile est commencée en tant que simple esquisse, puis les formes se précisent. En somme, le message de l’expressionnisme abstrait est détourné dans la direction désirée par l’artiste.
Samuel parle de sa dette envers l’expressionniste abstrait américain Franz Kline : mais, alors que chez Kline les ébauches fulgurantes de paysages industriels restent inscrites dans les deux dimensions de la toile, chez Samuel elles débordent dans une troisième dimension matiériste grâce à des nodules et des granulations de surface réalisés par empâtements et vernis, qui donnent aussi une connotation biologique à ses œuvres. L’artiste mentionne également son admiration envers l’expressionniste allemand Ernst Ludwig Kirchner, connu pour ses portraits tragiques et pour le travail acharné de la ligne. Néanmoins, Samuel a probablement assimilé l’esthétique tourmentée de Kirchner tout en préférant un degré avancé d’abstraction.
L’aspect parfois inachevé des toiles de Samuel est frappant ; il tient probablement aux variantes infinies des jeux de vernis, nodules, granulations et empâtements. Enfin, si le discours pictural de l’artiste relève de l’essai, le courant émotionnel qui le traverse est celui du chant. Subtilement postmodernes, les compositions témoignent de l’influence d’un expressionnisme abstrait, parcouru par l’esprit du paysage romantique : discrète hybridité. Julian Samuel montre que le message de l’expressionnisme abstrait, loin d’être épuisé ou déphasé, peut servir de point d’appui à de nouvelles visions.
JULIAN SAMUEL – Œuvres récentes
Georges Laoun opticien 4012, rue Saint-Denis Montréal Tél. : 514 844-1919 www.chezlaoun.com
Du 26 avril au 21 mai 2011