Kent Monkman. Le photographe, le peintre et l’iconoclaste
Invité à découvrir les collections du Musée McCord et à dialoguer avec elles dans le cadre du programme Artiste en résidence, Kent Monkman s’est inspiré des photographies de studio des Archives photographiques Notman afin de créer une nouvelle œuvre.
Il s’agit d’une installation dont l’élément principal est une immense toile mesurant plus de 7 mètres et faisant référence au tableau L’atelier du peintre, réalisé en 1855 par Gustave Courbet. Ce choix, qui relève de la citation en art, permet à Kent Monkman d’aborder au moyen de l’allégorie une réflexion sur la peinture de genre et sur l’atelier de l’artiste. À l’instar de Gustave Courbet, il se représente au centre du tableau qu’il a composé. L’artiste évolue dans un atelier imaginaire au milieu d’objets, de personnages et de modèles puisés à même le contenu de la trentaine d’épreuves photographiques Notman qu’il a sélectionnées. Regroupés à la manière de la photographie composite pratiquée par William Notman, les personnages réinterprétés et pastichés par Monkman reflètent la diversité du corps social de l’époque, principalement montréalais, de la deuxième moitié du XIXe siècle. Nous retrouvons une panoplie d’individus, autant des bourgeois, des chefs autochtones, des peintres que des lutteurs et des culturistes. Produits entre 1861 et 1927, les portraits figurent sur l’un des murs de la salle d’exposition afin que le public puisse apprécier le traitement que leur a réservé Kent Monkman dans sa peinture. Pour conclure l’expérience, le spectateur est convié à prendre place au cœur de l’installation et à voir la réflexion de son visage se superposer aux traits de l’artiste.
Le tableau comme métaphore
Refusée à l’Exposition universelle de Paris en 1855, L’atelier du peintre est une œuvre de grandes dimensions que Courbet a installée dans une tente improvisée qu’il a nommée le Pavillon du réalisme. La scène se passe dans son atelier et se présente comme un jugement dernier. Assis devant son chevalet, le peintre exécute un paysage de Franche-Comté, sa région natale. Il occupe le centre du tableau tandis qu’un modèle nu se tient debout juste derrière lui. Devant le chevalet, un jeune berger, symbolisant l’innocence et la vie, regarde la toile. À la droite du peintre sont personnifiés ses bienfaiteurs ; à sa gauche, les gens du peuple. Dans cette œuvre célèbre, Gustave Courbet livre une sorte de manifeste personnel en remettant notamment en cause la hiérarchie des genres. Il mêle dans le tableau toutes les catégories traditionnelles de la peinture, à savoir le paysage, la scène de genre, le nu, le portrait de groupe et la nature morte. « L’atelier du peintre est aussi un discours sur la société et les gens qui la composent. C’est le monde qui vient se faire peindre chez moi », commente l’artiste. Mais le tableau recèle un autre thème majeur, celui de la création artistique que Gustave Courbet renouvelle en se positionnant au centre de l’œuvre en tant qu’acteur principal. Tous ces éléments, Kent Monkman les reprend à sa façon sous un mode où l’humour, l’ironie et l’anachronisme sont largement exploités.
Dans Bienvenue à l’atelier, Kent Monkman revendique à son tour son statut d’artiste en réalisant son autoportrait et en se plaçant au centre de la scène. Autour de lui gravite une galerie de personnages, tous issus des Archives photographiques Notman. À la place du jeune berger, Kent Monkman reproduit le portrait de Percival Molson réalisé en 1898. Grand athlète et joueur de hockey, il meurt à 36 ans en France pendant la Première Guerre mondiale. Le modèle est associé au personnage du héros spartiate Léonidas dans le tableau Léonidas aux Thermopyles peint par Louis-Jacques David en 1814. Cette transposition est fondamentale pour Monkman qui s’attarde à rappeler, sur le plan historique, l’influence de la peinture sur la photographie naissante au XIXe siècle. L’artiste montre également l’importance qu’accordait William Notman et ses héritiers à la réalisation de décors d’arrière-fond apparaissant dans les photographies. En plus de reproduire différents motifs, l’artiste insiste sur cet aspect en représentant dans la partie droite du tableau plusieurs peintres engagés et photographiés par le Studio Notman.
Autre fait déterminant : la place réservée aux autochtones. Ainsi apparaissent dans la peinture d’éminents chefs des Premières Nations, mais aussi des Blancs déguisés en Indiens qui se faisaient photographier avant de se rendre à un bal costumé au Château Ramesay. Fidèle à sa démarche artistique, Monkman aborde la représentation des peuples indigènes sous l’angle d’un examen des effets de la culture colonisatrice blanche sur celle-ci.
Kent Monkman est le deuxième artiste à se prévaloir du programme de résidence du Musée McCord. Sa réalisation permet de redécouvrir la richesse de la collection des photographies de studio de Notman. Elles sont une source indispensable de connaissances à la fois culturelles et ethnologiques. William Notman photographiait le monde qui se présentait à son studio. Ses clichés nous renseignent sur l’état et l’évolution de la société civile. Mais aussi sur l’art, la peinture scénique et la mise en scène. En revisitant l’œuvre de Notman, Kent Monkman montre encore une fois sa capacité à réévaluer les codes de la représentation visuelle pour mieux agir sur l’histoire et la mémoire collective.
KENT MONKMAN BIENVENUE À L’ATELIER
Musée McCord, Montréal
Du 30 janvier au 1er juin 2014