Le centre d’artistes articule, qui favorise les dialogues, les échanges et l’accessibilité des QTPANDC (personnes queer, trans, autochtones, noires et de couleur), s’investit à décoloniser son espace à travers sa programmation, son langage et ses politiques. L’exposition k’ō-dī īyínáts’īdìsh (new agency) du collectif d’artistes tīná gúyáńí (Deer Road), composé des artistes seth cardinal dodginghorse et Glenna Cardinal, confirme vivement cette inclusion. Les membres du collectif Deer Road appartiennent aux Tsuut’ina’ un peuple des Premières Nations athabascanes du Canada. L’exposition new agency livre directement une perspective autochtone : les œuvres engagées d’une dimension politique ciblent les effets environnementaux et psychologiques du périphérique sud-ouest de Calgary. En vertu d’un accord conclu en 2013, la nation Tsuut’ina a transféré 428,1 hectares des terres de sa réserve au gouvernement de l’Alberta afin d’annexer la construction d’une section d’autoroute au sud-ouest de Calgary. Par conséquent, seth cardinal dodginghorse et Glenna Cardinal ont dû quitter leurs maisons et leurs terres ancestrales en 2014.

Dans le cadre de la pandémie de COVID-19, l’exposition s’est déroulée sur un mode hybride, à la fois en présentiel et en virtuel. La vitrine de la rue Fairmount accueillait une installation composée d’un dispositif audio et d’un mur peint en orange vif sur lequel figuraient des codes QR, inclus dans des formes qui font référence à une maison et à un hybride de pictogrammes en langue sarsi. Le long de la vitrine, une bande sonore diffusait en boucle un discours affirmatif, telle une déclaration, qui dénonce la situation du peuple Tsuut’ina. Sur un ton d’autodétermination, le duo met en parallèle l’ancienne agency, soit la perte de pouvoir quand les Blancs prennent les décisions, et la nouvelle agency, le souhait de reconnecter avec leurs valeurs ancestrales. Le mur orange de la vitrine, conjugué à la trame sonore qui débutait avec une courte mélodie de synthétiseur, agissait comme un signal annonçant un message d’intérêt public1. Dans cette logique d’autodétermination, le refus est devenu un sujet central des récentes études autochtones critiques. Selon la chercheuse mohawk Audra Simpson, le refus se définit comme une position politique et éthique qui « s’accompagne de la nécessité de la reconnaissance et du respect d’une souveraineté politique, soulevant la question de la légitimité pour ceux qui sont généralement en position de reconnaître».

tīná gúyáńí (Deer Road), I am here (2019)
Carte postale, recto et verso
Courtoisie des artistes

Le collectif manifeste ce refus sous la forme de la résistance. La pratique artistique de ce duo mère/fils s’alimente de l’histoire de sa famille et de ses expériences de déplacement dans le but de contester les dommages coloniaux causés par la construction du périphérique au sud-ouest de Calgary. Présentées sur le site Web d’articule via les codes QR, le corpus d’œuvres produit par les artistes est formé d’archives et de souvenirs qui font état de leur attachement pour leur terre Tsuut’ina. Deer Road fait usage de la méthode traditionnelle de narration Tsuut’ina/Niitsitapi axée sur la boucle et la répétition.

La délocalisation fait partie des récits récurrents qui appartiennent au narratif dominant de la colonisation. Le territoire perdu, qui devient lieu de contestation, constitue le thème central de la série de photographies I am here (2019). En format carte postale, celles-ci sont accompagnées d’un texte adressé à la première personne du singulier. Certaines photographies montrent seth cardinal dodginghorse qui entre en dialogue avec ses terres ancestrales : iel3 y projette ses déceptions et ses aspirations. En témoignant d’une profonde estime envers ses anciennes terres ancestrales, iel documente et raconte le paysage devenu désertique, dépeuplé et aride, en prévision de la construction de l’autoroute. Les artistes soulignent de la sorte leur dévouement envers leur terre perdue, la faune et la flore qui ont disparu. La dernière photographie arbore un panneau de signalisation, du même orange que le mur peint de l’installation dans la vitrine d’articule, qui indique le message end of construction (fin de la construction).

La pratique artistique de ce duo mère/fils s’alimente de l’histoire de sa famille et de ses expériences de déplacement dans le but de contester les dommages coloniaux causés par la construction du périphérique au sud-ouest de Calgary.

La vidéo our home 210 chaguzagha tsi-tina (weaselhead road) (2018) présente le territoire Tsuut’ina filmé par les artistes : la forêt luxuriante de jadis, suivie de la visite de leur ancienne maison en décrépitude. Sur ces images contrastantes, qui démontrent directement les impacts de la perte du territoire, joue en boucle en deuxième partie de la vidéo le discours public du chef Roy Whitney confirmant le transfert des terres. Cette allocution se retrouve également dans la vidéo old agency – Tsuut’ina sells land to the province for the SW Calgary Ring Road (2019) qui adresse la perspective coloniale. Le discours du chef Whitney incarne le patriarcat conciliant avec la politique des Blancs, tandis que le message des différentes instances politiques (municipales, provinciales, fédérales) représente le pouvoir – les représentants répondant au projet de tronçon d’autoroute en termes de progrès et de rendement socioéconomique.

tīná gúyáńí (Deer Road), our home 210 chaguzagha tsi-tina (weaselhead road) (2018)
Vidéo, capture d’écran
Courtoisie des artistes

L’exposition new agency invite à décoloniser les perceptions et à adopter une position d’écoute et de compréhension critique, postures soutenues par le chercheur Dylan Robinson. Ainsi, le visiteur se rapproche du point de vue du peuple Tsuut’ina, tout en se décentralisant d’horizons d’attente normatifs. Pendant que l’agentivité dominante perçoit la conquête du territoire comme une commodité, articule contribue à transmettre la culture de la nation Tsuut’ina qui porte en elle le respect et l’harmonie du rythme de la nature.

(1) Conversation informelle entre tīná gúyáńí (Deer Road) et Annie Wong, 2 février 2021, https://vimeo.com/506491373

(2) Notre traduction. Dylan Robinson (2020). Hungry Listening: Resonant Theory for Indigenous Sound Studies, Minneapolis : University of Minnesota Press, p. 27.

(3) Le néologisme « iel » est ici préféré aux pronoms personnels « il » et « elle », car il est plus à même de représenter l’identité non genrée, ou agenre.


(Exposition)

K’Ō-DĪ ĪYÍNÁTS’ĪDÌSH (NEW AGENCY)
TĪNÁ GÚYÁŃÍ (DEER ROAD)
ARTICULE, EN VITRINE ET EN LIGNE
DU 22 JANVIER AU 21 FÉVRIER 2021

Vue de l’exposition k’ō-dī īyínáts’īdìsh (new agency) de tīná gúyáńí (Deer Road) (2021)
Photo : Guy L’Heureux. Courtoisie d’articule