Au mois de mai 2017, la galerie Linda Verge ouvre ses portes sur une magnifique exposition de l’artiste Annie Picard. Avec pour titre Tailler dans la lumière, la photographe plasticienne y propose des compositions d’images inspirées du portrait.

L’élément photographié est en effet placé de face, sur fond sombre, et soumis à un éclairage calculé. Seulement, aucun visage n’apparaît sur les photo­graphies. À la place sont présentés des vêtements de femme. Comme si le sujet tenait de la disparition, de l’absence. Annie Picard offre donc des portraits de robes, sur fond noir. Pourtant, la prouesse avec laquelle l’artiste manipule la lumière et les couleurs offre aux œuvres exposées une tonalité hautement vivante.

La première œuvre de cette série est un diptyque de petit format, intitulé Robe 1 et Robe 2. Sur les deux photographies se dessine l’image d’une robe au caractère presque enfantin. Dans la première, le vêtement est traité en noir et blanc. Seules quelques traces de couleurs, qui ressemblent à de légers coups de brosse, s’immiscent dans l’image. Dans la seconde, la couleur, cette fois, surgit de la robe : un rose vibrant qui semble inonder le vêtement. Au bas de cette robe, la couleur se fond peu à peu pour se noyer dans le noir. Ces œuvres sont bien sûr évocatrices ; l’une et l’autre se répondent telle la lune qui précède les premiers rayons du soleil. Avec simplicité, Annie Picard évoque ainsi l’idée de naissance. Si le sujet semble ici absent, l’apparition progressive de la couleur revêt d’une présence vibrante l’objet photographié.

L’artiste a également choisi une robe de mariée comme sujet de photographie. Le vêtement en lui-même est porteur d’un esprit de fête et de joie éphémère. Ici, la robe est entourée de deux rideaux et devient ainsi l’objet d’une mise en scène théâtrale. Suspendu par deux fils à un mince cintre, l’on croirait le vêtement prêt à tomber sous le poids du tissu. Cette compo­sition, à la fois délicate et pondéreuse, souligne l’idée de précarité et semble ainsi évoquer la fragilité de l’existence. À partir de cette même prise photographique, Annie Picard propose plusieurs œuvres, comme plusieurs déclinaisons possibles à l’image. La première s’intitule Clair de lune à Giverny. Le titre même évoque l’aspect organique des plis du vêtement, tel celui d’un nénuphar. Le bout du tissu semble d’ailleurs baigner dans l’eau. Or, la texture de la robe est accentuée par le sceptre lumineux qui jaillit en arrière du vêtement. Les couleurs pastel s’animent dans l’obscurité de la scène. Le rose, le vert et le blanc surgissent d’une pénombre mystérieuse, tel un paysage mis en lumière par des reflets de lune. Sous les feux des projecteurs, l’objet prend vie, le temps d’une représentation.

À côté de cette photographie est présentée Flamenco. L’image est quasiment la même et pourtant la tonalité de l’œuvre diffère complè­tement. La lumière, cette fois, projette un rouge cramoisi qui donne à la robe une allure fière et romanesque. Le stratagème est étourdissant. Car si l’image est au départ semblable, la lumière qui vit à travers la couleur en modifie le caractère. Elle nous amène cette fois-ci sur les planches des danses espagnoles. Loin d’être un simple élément décoratif, la lumière personnifie et donne vie à l’objet photographié. Si la composition semble fragile, ces deux œuvres résonnent tels deux chants singuliers à la vie.

Lors de l’exposition, le visiteur découvre une œuvre beaucoup plus silencieuse que l’artiste a intitulée Absence (Mer d’encre). De nouveau sur fond noir, une robe au style asiatique est dédoublée par un jeu de reflet. L’objet semble inanimé, comme s’il flottait sur l’arrière- plan. Il ne s’agit plus ici d’évoquer le temps éphémère de la fête. Dans cette œuvre, Annie Picard évoque le temps qui passe doucement, comme une barque à la dérive. Très peu de couleurs viennent donner vie à l’image, si ce n’est la broderie de fleur qui orne le vêtement. Le violet en lui-même semble davantage une couleur reflétée que la couleur même de la robe. Cette teinte, mais aussi la texture de la robe, n’est pas sans évoquer l’image de la lune. Une lune qui vient se refléter à la surface d’eaux calmes. La composition de l’image laisse alors davantage l’idée d’un paysage nocturne et mystérieux où le réel et le reflet de l’autre s’entrecroisent.

À mesure que le spectateur découvre les autres photographies, il semble que les robes perdent peu à peu de leur matérialité. L’artiste fait disparaître la texture du tissu jusqu’à la transparence. Les vêtements semblent alors non plus taillés dans un matériau, mais dans la couleur elle-même. Telle une projection, une épaisseur de lumière. Avec délicatesse, Annie Picard soulève ainsi la question du passage et de la disparition. De ces compositions évanescentes, la lumière demeure, quant à elle, un sujet constant qui vient créer en chacune d’elles un mystérieux enchantement.

Annie Picard : Tailler dans la lumière
Galerie Linda, Québec
Du 7 au 28 mai 2017