La peinture à l’honneur à la Fondation PHI pour l’art contemporain
L’exposition RELATIONS : la diaspora et la peinture explore l’identité diasporique à travers une cinquantaine d’œuvres réalisées par vingt-sept artistes contemporains issus de diverses cultures et générations. Vivant au Canada, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, ils ont en commun de ne pas être nés dans le pays où ils résident et d’être, conséquemment, dépositaires de la mémoire et de l’héritage de cet ailleurs antérieur.
Leurs créations témoignent de leur capacité à évoluer simultanément dans divers contextes culturels, dont ils ont absorbé les codes, pour délivrer un art hybride se déployant dans des itérations nouvelles. Bref, la diaspora – du grec diaspeirein, disséminer, disperser – est ici envisagée tels un idiome, une posture et une revendication à faire exister dans l’espace public une pluralité d’expériences, de discours et d’expressions artistiques.
Des réalisations de Shanna Strauss, Larry Achiampong, Hurvin Anderson, Kamrooz Aram, Yoko Ono ou encore Barkley L. Hendricks – pour ne nommer qu’eux – se succèdent dans l’immeuble du 451 de la rue Saint-Jean ; dans l’espace du 465 ont été regroupés les noms les plus connus de la sélection, dont Bharti Kher, Julie Mehretu et Mickalene Thomas. Cette sélection a pour dénominateur premier non pas une proposition thématique ou théorique, mais technique ; ainsi, le choix s’est engagé à partir d’une discipline dont la connotation occidentaliste et l’historicité ne sont plus à démontrer : la peinture. L’une des formes de l’art contemporain qui n’a eu de cesse de chercher à s’affranchir des définitions strictes et ultra-codées que l’histoire lui a accolées dans son rapport au pouvoir, mais aussi aux systèmes figuratifs et aux canons d’une histoire de l’art eurocentriste et colonialiste. Ce choix de la peinture constitue une curiosité à la Fondation PHI, où elle est rarement reine ; ici, la picturalité revendique son droit de sortir des sentiers battus pour convoquer la broderie, le collage, le feu, et même les bindis, dans des manifestations parfois surprenantes.
D’autant qu’au cœur des propositions ici convoquées se dessine, à n’en pas douter, le désir de nourrir, différemment certes, mais de nourrir néanmoins la réflexion et le dialogue sur des notions aussi fondamentales que l’identité, l’héritage et l’appartenance.
En phase avec les préoccupations sociales et artistiques actuelles, cette exposition tombe à point nommé. Et fait la part belle à des artistes de la scène locale – ce qui n’est pas non plus si courant chez PHI –, comme Manuel Mathieu, un Montréalais issu de la diaspora haïtienne, dont on découvre les plus récentes œuvres, créées durant une résidence artistique à Stuttgart. Des pièces riches et complexes, tant au niveau formel que technique (craie, textiles, silicone et feu), à la limite de la figuration et de l’abstraction et qui convoquent avec justesse les puissants contrastes de violence et de beauté de son alma mater.
Dans un immense diptyque sur panneau de bois intitulé Speaking in tongues (2012), Bharti Kher met en place un paysage aérien autant que mental à l’aide de milliers de bindis, ces petites pastilles issues de la culture hindie. Ce faisant, elle invite le visiteur à remettre en question son point de vue physique et culturel. Rappelant une infinité de pixels aussi bien que la peinture divisionniste de la fin du XIXe siècle, ces points, qui n’ont de cesse de bouger, avançant ou reculant au gré des mouvements des yeux autant que du corps, ont le pouvoir d’évoquer l’infiniment grand (le macrocosme d’un paysage vu du ciel en plongée absolue) comme l’infiniment petit (une microphotographie) dans un perpétuel phénomène de métamorphose, auquel participe même le reflet du visiteur et de son environnement sur la plaque de verre qui scelle la composition.
L’une des figures-phares de cette sélection hétéroclite est, à n’en pas douter, Shanna Strauss, dont les œuvres sont des assemblages étonnants, protéiformes mais néanmoins cohérents. D’origine tanzanienne-américaine, cette néo-Montréalaise est assurément l’une des belles découvertes de l’exposition. Et We are the Bridges (2020), un transfert photographique sur panneau de bois rehaussé à la peinture aérosol créé expressément pour l’exposition, en collaboration avec l’artiste queer d’origine colombienne Jessica Sabogal, est un vibrant appel à l’ouverture d’esprit autant qu’un exemple patent de la puissance des luttes des minorités.
Parmi les autres morceaux de bravoure, notons I Learned the Hard Way (2010) de Mickalene Thomas, une immense œuvre-collage, hommage à sa mère et au mannequin Collette Blanchard, comme à toutes ces femmes noires admirables, ou encore why does its lock fit my key? (2018) et perpetual guest (2019) de Jinny Yu, qui forment une installation minimaliste évoquant le défi que représente le fait de vivre sur un territoire autochtone non cédé. Mais l’impression qui se dégage de la collection réunie au 465 de la rue Saint-Jean semble davantage relever d’une succession d’individualités que d’un collectif, ce qui n’est pas le cas des propositions regroupées au 451.
Il émane de cette exposition une poignée de thèmes forts, dont le colonialisme et la migration, le déracinement et le deuil, l’expérience du racisme et de la marginalisation, les mythologies et les traditions. Thématiques qui s’incarnent dans des propositions parfois très engagées, foncièrement politiques, comme c’est le cas du tableau de Strauss déjà mentionné. D’autres empruntent des approches conceptuelles marquées par l’hybridation de courants déterminants de l’art moderne et contemporain occidental et des pratiques figuratives issues de cultures ancestrales. C’est le cas de Mrs S. Keita (2001) de Hurvin Anderson, hommage de l’artiste à sa famille autant qu’au photographe malien Seydou Keïta, sur fond de télescopage entre paysage, portrait et abstraction moderniste, et dont les qualités plastiques mettent en exergue une indéniable puissance d’évocation. Entre diversité culturelle et éclatement pictural, cette collection d’œuvres, tel un funambule, trace sa voie fragile dans un vertige incertain et inconstant, certes, mais par moments ravissant.
Dans le texte introductif du catalogue, Cheryl Sim indique avoir souhaité « privilégier une multiplicité de voix afin qu’aucun discours ne s’installe » (p. 15), ce qui peut paraître antinomique avec l’exercice même de commissariat. Car si le désir de convier une variété de propositions plastiques et de lectures polysémantiques constitue indéniablement l’une des forces de l’exposition et de son catalogue, difficile de prétendre ne pas faire discours. Opérer une sélection, faire un accrochage, même « intuitif » pour reprendre les mots de la commissaire, et colliger des textes au savant dispositif interprétatif relèvent assurément d’un acte discursif. D’autant qu’au cœur des propositions ici convoquées se dessine, à n’en pas douter, le désir de nourrir, différemment certes, mais de nourrir néanmoins la réflexion et le dialogue sur des notions aussi fondamentales que l’identité, l’héritage et l’appartenance. Alimenter cette intelligence, c’est faire discours, tout en sachant que ce dernier sera parcellaire, provisoire, circonscrit et fondamentalement ancré dans la culture de celui qui l’émet, dans un monde en constante mutation et aux contours souvent insaisissables. Ainsi, la pierre que l’on apporte au grand-œuvre de la connaissance humaine n’est toujours que l’infime épiphénomène d’un dessein discursif immensément plus vaste, et surtout en continuelle réitération. Ce que font très bien cette exposition et le catalogue qui l’accompagne.
RELATIONS : la diaspora et la peinture
Commissaire : Cheryl Sim
Fondation PHI pour l’art contemporain, Montréal
Du 8 juillet au 29 novembre 2020
Artistes : Larry Achiampong, Hurvin Anderson, Kamrooz Aram, Moridja Kitenge Banza, Firelei Báez, Frank Bowling, Cy Gavin, Barkley L. Hendricks, Lubaina Himid, Bharti Kher, Rick Leong, Manuel Mathieu, Julie Mehretu, Jordan Nassar, Yoko Ono, Maia Cruz Palileo, Rajni Perera, Ed Pien, Jessica Sabogal, Marigold Santos, Yinka Shonibare CBE, Shanna Strauss, Curtis Talwst Santiago, Mickalene Thomas, Salman Toor, Hajra Waheed, Jinny Yu