La peinture de Dana Schutz
Née en 1976 à Livonia, dans le Michigan, Dana Schutz vit et travaille à New York. Elle connaît un succès fulgurant sur la scène internationale dès sa première exposition solo, Frank from Observation, à la LFL Gallery de New York en 2002. Depuis, la jeune peintre a présenté ses œuvres dans des galeries, des musées et des grandes manifestations d’art en Amérique du Nord, en Asie et en Europe.
Le commissaire John Zeppetelli marque un grand coup en étant le premier à présenter au Québec et au Canada l’une des grandes artistes peintres du moment. Pour l’exposition rétrospective que lui consacre le Musée d’art contemporain de Montréal, un impressionnant corpus regroupant une vingtaine d’œuvres réalisées entre 2000 et 2015 dévoile l’univers singulier de Dana Schutz : grâce à un travail de plans, de masses et de matières, elle peint (ou scénarise) des scènes mordantes et des corps improbables.
Ses inspirations puisées dans les courants d’avant-garde sont indéniables : alors que les couleurs vives et les lignes brisées donnent corps au tragique, à la manière de l’expressionnisme allemand, la fragmentation des formes et la mise en aplat revisitent le traditionnel cadre de la représentation, comme le prônait le cubisme synthétique. À partir de là, Dana Schutz développe un langage pictural dont l’univers figuratif se trouve à la croisée de l’humour et du tragique, du grotesque et du violent.
Dans la série intitulée God, celui dont l’aspect varie au gré des croyances et des religions est révélé par des formes kaléidoscopiques. Ainsi, tout le monde peut y voir (ou non !) un / son dieu. C’est un fait : l’imagination de Schutz est débordante. Dans une autre série, elle s’exprime dans une structure narrative où les actions, multiples et juxtaposées, témoignent d’un dysfonctionnement troublant, levant le voile sur l’envers du performatif. Si dans Swimming, Smoking, Crying (2009), une jeune femme tente de nager le crawl, tout en pleurant et en ayant une cigarette à la bouche, dans Shaking, Cooking, Peeing (2009), la même femme (ou une autre !) essaie de cuisiner malgré ses tremblements et le fait qu’elle ne puisse s’empêcher d’uriner sur le sol. Les Wonder Women de ce monde sont-elles vraiment à envier ? Ailleurs, le corps humain se fragmente (New Legs, 2003) et s’autodévore (Self-Eater 3, 2003 ; Face Eater, 2004).
Certes, l’artiste nourrit une réflexion sur la vulnérabilité du corps dans la culture, cependant elle ne se contente pas de ce seul aspect. Dans ses tableaux, plusieurs couches symboliques s’offrent à l’œil. Et celles-ci se superposent, filant une métaphore tantôt politique, tantôt psychologique, tantôt sociale, tantôt artistique. Quoi qu’il en soit, le tout s’organise dans un maillage référentiel où l’exubérance narrative est à son comble.
Comme l’explique John Zeppetelli, Dana Schutz réussit un tour de force : réaliser une fusion entre figuration et abstraction. En effet, elle parvient à déjouer les lois de la composition et de la décomposition pour jouer avec le réel et la fiction. Ce que l’artiste semble proposer en défigurant le réel est indéniablement une manière singulière de revoir notre manière de penser le monde.
Dana Schutz
Commissaire : John Zeppetelli
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 17 octobre 2015 au 10 janvier 2016