Un peu comme on ouvre un album pour y retrouver des moments singuliers ou marquants, l’artiste Adrian Paci propose une exposition où il dévoile au visiteur ses images, ses souvenirs, ses expériences et révèle ainsi les sources d’inspiration liées à sa création.

Paci se place au cœur de ses œuvres, comme un moteur, un vecteur et un acteur réagissant aux situations propres aux divers milieux où il a vécu et à ceux où il évolue. « Je crois que chaque œuvre naît dans le désir de bâtir un pont entre ce que vous avez déjà fait et un territoire que vous découvrez », soutient-il. À l’image de son itinéraire personnel (il est né en Albanie, a quitté l’Europe de l’Est avec sa famille après l’effondrement du régime communiste et vit aujourd’hui à Milan), cette façon de créer et de définir sa démarche artistique explique certainement aussi la grande chaleur humaine qui émane des installations vidéographiques et sonores ainsi que des sculptures et des toiles de l’artiste.

Parcours intime

Dès l’entrée de l’exposition, j’entends la rumeur d’une foule qui monte au loin. J’avance vers la source du bruit en croyant que le vernissage est commencé et que de nombreuses personnes discutent dans une salle. Non, l’espace est vide. Me voici face à un écran géant. Je vois de haut et de loin la place d’un village que prolonge le parvis d’une église. Une bonne centaine de gens font la queue pour serrer la main d’un homme debout devant une chaise – il s’agit de l’artiste –, formant un demi-cercle en un mouvement perpétuel de recommencement. The Encounter (2011) s’offre ainsi spontanément à nous, car d’autres visiteurs regardent la scène avec moi. Nous sommes à Scicli, un village de Sicile, devant l’église San Bartolomeo. Cette foule émouvante et hétéroclite ne semble nullement gênée ou dérangée par la caméra braquée sur elle. C’est ainsi que Paci se met lui-même en scène, c’est ainsi qu’il explicite sa relation avec l’autre et son milieu.

Dans Vajtojca (2002), autre vidéo, l’artiste a filmé sa propre veillée funèbre. Une pleureuse professionnelle se lamente sans répit au chevet du défunt. Puis, sans crier gare, Paci ressuscite : il se lève, remercie la pleureuse et quitte la pièce. Les spectateurs en déduisent que l’artiste a voulu souligner autant l’importance du rituel que son absurdité.

Au centre de la grande salle du musée, voilà le moulage d’un homme vêtu d’un pagne portant sur son dos un morceau de toit en tuiles romaines. La sculpture Home to Go (2001), pièce qui a fait connaître Paci, est certainement l’œuvre majeure de Vies en transit et celle qui représente le mieux la quête artistique de Paci. L’homme porte sa maison sur son dos, son histoire et sa vie, comme un livre ouvert ; il chemine vers son avenir et tous ses possibles dans un territoire d’adoption encore inexploré. Nous sommes totalement émus par cette œuvre dont nous faisons le tour avec douceur et retenue, pour ne pas brusquer l’intimité de ce personnage sous les traits duquel nous reconnaissons, une fois de plus, Adrian Paci. « …le chez-soi,… ce n’est pas seulement la maison, le toit, la famille ; c’est aussi un état de stabilité, de lien, d’affection et d’identification à quelque chose », commente le sculpteur.

Renversant

L’installation formée de quatre écrans et intitulée Last Gestures (2009) nous arrache aussi quelques larmes. Paci, avec une grande sensibilité et dans une œuvre très poétique, a capté les derniers moments que partage avec sa famille une future mariée. Comme preuve de cet imminent détachement, l’artiste a choisi de diffuser les images sur des téléviseurs distincts, comme les membres de ce clan, prochainement divisé.

Très spectaculaire, The Column (2013) est un court-métrage de 24 minutes qui suit le transport par voie de mer d’un pain de marbre sur un navire-usine chinois. Cinq ouvriers tailleront le gigantesque bloc pendant tout le voyage. Ils en tireront une colonne qui sera prête à son arrivée à destination. « J’ai trouvé ça extraordinaire. Ça m’a paru tellement bizarre. À la fois aberrant et fabuleux… », commente Paci.

La mémoire, le passage, le lien, l’identité, la perte, l’exil, l’autre, tels sont les thèmes qu’explore Adrian Paci. L’artiste est empreint d’une humanité et d’une sensibilité que ne dément pas l’ensemble de ses créations. Des œuvres qui vous vont droit au cœur. 

ADRIAN PACI VIES EN TRANSIT
Commissaires : Marie Fraser et Marta Gili
Musée d’art contemporain de Montréal
Du 6 février au 27 avril 2014