« L’art imprimé : entre mixité et hybridité ». L’estampe : nouveaux plans et volumes
Le Musée national de l’estampe de Mexico rend hommage aux recherches plastiques de dix artistes du Québec et de l’Ontario à l’occasion de l’exposition collective L’art imprimé : entre hybridité et mixité mise sur pied par Émilie Granjon et Lysette Yoselevitz, en collaboration avec Arprim, centre d’essai en art imprimé basé à Montréal.
Comment les deux commissaires ont-elles effectué leur choix ? Le Musée a alloué à l’exposition un grand espace qui permet de mettre en valeur chaque artiste individuellement. « Au cœur de notre projet, explique Émilie Granjon, il y a l’envie de rassembler des œuvres d’artistes dont le travail s’inscrit dans une vision ouverte et audacieuse de l’art imprimé qui questionne son passage en 2D ou en 3D dans la mise en scène ou dans la thématique abordée. Les artistes sélectionnés emmènent l’imprimé vers un ailleurs intéressant. » Et, en effet, les images des projets entrevues ici suggèrent un effet de déplacement : projeter une vidéo sur une image imprimée (Lysette Yoselevitz) en modifie la lecture, suscite une nouvelle interprétation ; appliquer un même papier imprimé sur une série d’objets du quotidien (Manuela Lalic) attire l’attention sur les dérives de la consommation ; tapisser le mur et le sol d’une galerie avec des centaines de carrés rouges et noirs en papier plié (Andrée-Anne Dupuis-Bourret) amène l’objet imprimé dans une nouvelle zone, à la frontière entre la sculpture et la peinture.
L’exposition s’articule sur quatre volets au sein desquels les œuvres dialoguent entre elles : dans le premier volet, Perception de l’espace, les commissaires ont choisi, pour accompagner l’œuvre d’Andrée-Anne Dupuis-Bourret, les papiers imprimés de Philippe Blanchard, qui prennent tout leur sens lorsqu’ils sont bombardés de lumière stroboscopique, et les sculptures de Seripop, un duo d’artistes qui pousse extrêmement loin la notion de sérigraphie sculpturale. Dans le second volet, intitulé Visions du collectif, les collagraphies en forme de tondos de Jérôme Fortin, dont les matrices proviennent d’un patient travail de déchirure d’un livre et portent sur la notion de consommation de masse, font écho à l’installation de Manuela Lalic (Hiérarchie de l’instant), constituée d’objets du quotidien recouverts d’une image imprimée représentant du bacon, icône par excellence de l’ingurgitation excessive de biens de toutes sortes. Le volet L’individu : ses méandres psychologiques et ses jugements réunit trois artistes : Mathieu Matthew Conway prend l’avènement de la technique digitale (de la même racine que le mot doigt) au pied de la lettre : ses représentations, qui se découpent si parfaitement sur le fond neutre au point d’acquérir du relief, montrent des mains étreignant un enfant, embrassant les ailes d’une colombe, serrant le poing. Leur total isolement empêche de donner un sens précis à leur action et leur confère une étrangeté inquiétante. Les impressions floues de femmes nues obèses de Fred Laforge (issues de superpositions de plusieurs impressions numériques) font allusion aux perceptions troublées que nous avons du corps livré dans toute sa réalité et obligent à réfléchir sur la représentation de la laideur. Les images proposées par Lysette Yoselevitz, d’origine mexicaine et vivant à Montréal, la montrent exécutant avec ses mains un rituel lié à sa réflexion sur l’identité féminine et sur son propre deuil du père, où elle encre énergiquement le support sur lequel elle s’est accroupie. Les deux artistes réunis dans le dernier volet, De l’imaginaire et de la fiction, ont en commun de provoquer l’imaginaire : les images de Pierre Durette, tel cet homme bardé de flèches qui rappelle Saint-Sébastien (Expiation), oscillent entre le Moyen Âge et un sombre futur. Ses fictions visuelles à connotation militaire qui jouent avec plusieurs techniques d’impression se moquent des frontières aussi bien entre les époques qu’entre le dessin, la peinture et la photographie. Les monolithes de Laurent Lamarche brouillent également les pistes : les motifs mis en valeur par des pulsations lumineuses qui les font subtilement vibrer comme des organismes vivants fictifs font d’abord penser à un travail d’impression issu d’un ordinateur. Mais à les regarder de plus près, on s’aperçoit avec surprise que ces motifs ont été gravés l’un après l’autre dans chaque plaque au moyen d’une simple perceuse, en variant le diamètre de la mèche.
Qu’est-ce qui motive particulièrement le Musée national de l’estampe de Mexico à présenter une exposition sur l’art imprimé ? Il y a au Mexique une tradition de l’estampe, mais elle est encore très ancrée dans la tradition. Sauf exception, lorsqu’un artiste conçoit une image, un maître imprimeur se charge de l’impression. Au Québec, cela fait plusieurs décennies que les artistes intéressés par l’estampe ont été encouragés (grâce à l’impulsion donnée par des organismes comme la Galerie Graff ou l’Atelier Circulaire) à prendre en main les processus d’impression et à oser l’hybridité en combinant plusieurs techniques, ce qui a insufflé au fil des ans une véritable dynamique à la discipline. Au Québec, deux universités intègrent dans les arts visuels les techniques de l’estampe. Le Mexique n’ayant rien de tout cela, le Musée national de l’estampe a voulu présenter des œuvres d’art imprimé susceptibles de stimuler la création locale. À des fins pédagogiques, les commissaires ont aussi prévu de compléter l’ensemble par un grand panneau qui retrace l’historique et l’évolution de l’imprimé.