L’autre Miró
Jusqu’au 8 septembre 2019, le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) propose une rétrospective inédite des œuvres de Joan Miró (1893-1983), artiste espagnol à la fois collectionneur, voyageur et éternel chercheur.
Intitulée Esprit libre et rendue possible grâce à la Fundació Pilar i Joan Miró a Mallorca (Espagne) et à la famille de l’artiste, l’exposition montre les œuvres créées entre 1956 et 1981 dans l’atelier de Majorque, une des îles espagnoles des Baléares, en Méditerranée, et regroupe une sélection de près de deux cents peintures, sculptures et œuvres sur papier. André Gilbert, commissaire pour le MNBAQ, a choisi d’organiser une exposition singulière, répartie dans quatre salles du Pavillon Pierre Lassonde.
Majorque et la maturité
L’exposition présente des œuvres dites de « maturité », c’est-à-dire les œuvres de « l’autre Miró », que l’on connaît un peu moins. Celui qui fait dessiner les plans d’un atelier exceptionnel sur l’île de Majorque par l’architecte catalan Josep Lluís Sert (1902-1983) en lui demandant d’imaginer un atelier immense capable de répondre aux exigences de ses formats et de sa nouvelle pratique inspirée de l’Action Painting américain. L’artiste, actualisant son travail en permanence, est à l’affût des pratiques formelles contemporaines. Les œuvres présentées au MNBAQ sont donc issues de cette période féconde – euphémisme – s’échelonnant sur 25 ans. On y retrouve une partie de l’atelier, avec des babioles collectionnées par l’artiste, ses carnets de croquis et ses pinceaux; le visiteur est chez Miró, à un mégot de cigarette prêt ! Le conservateur lance cette boutade, car il a effectivement tenté d’obtenir des mégots de l’artiste, comme on en trouve encore dans l’atelier resté intact sur l’île de Majorque. Demande qui a malheureusement été rejetée. Sans doute par bienséance… époque oblige.
Un esprit libre
Iconoclaste et représentant majeur du mouvement surréaliste, Miró a eu une production artistique riche et foisonnante. En 1917, après avoir fait la rencontre de Francis Picabia (1879-1953), il manifeste un réel engouement pour l’esprit dadaïste. Il délaisse le groupe nommé Groupe Courbet, composé essentiellement des jeunes peintres espagnols inspirés par l’impressionniste et le cubisme, convaincu entre autres par les esprits vifs et résolus des jeunes Picabia, Éluard et Tzara. Miró ne se fait pas prier pour sauter dans le train Dada en marche, ce qui le mènera peu après vers le surréalisme. Influencé par la publication du fameux manifeste d’André Breton, en 1924, Miró se passionne pour « l’esprit enfantin ». Les surréalistes, fortement inspirés par les travaux de Freud sur le subconscient, explorent l’univers du rêve, de l’esprit, de la folie et tutti quanti, afin d’imaginer de profundis un nouveau matériau à étudier. Pour Miró, il s’agit de découvrir au travers de ses souvenirs, de ses rêves, un sujet issu des substrats du langage inconscient. Le peintre ne peint plus sur le motif, il se figure le motif. Les résultats sont un produit de la conscience et de l’inconscience, une schématisation subjective et autocritique, voire délibérément sublimée. Reproduire le « geste de l’enfant » et les mécanismes de représentation innocente est non seulement le point de départ des motivations de l’artiste, mais aussi l’exigence d’une démarche formelle menée durant toute une vie. L’artiste demeure en cela un monument de la modernité artistique internationale.
On retrouve dans l’exposition une partie de l’atelier, avec des babioles collectionnées par l’artiste, ses carnets de croquis et ses pinceaux; le visiteur est chez Miró, à un mégot de cigarette prêt !
Dans les salles du musée
Cette exposition est répartie dans quatre salles du Pavillon Pierre Lassonde. La première permet d’apprivoiser les « Racines et l’identité » catalanes de l’artiste, d’où il tire ses premiers matériaux. Dans cet espace, il est suggéré de découvrir les aspirations de l’artiste pour les motifs, les symboles, surtout, pour le produit d’un imaginaire collectif; s’il en est un. En effet, ce grand collectionneur de bibelots s’entiche des produits issus des cultures populaires sud-américaines. De même, l’artiste étudie les arts précolombiens et les arts pariétaux. Ces derniers sont autant d’inspiration pour l’artiste. Il se fascine pour le produit d’un geste originel, obscur, troglodyte, bref, un geste parent à celui des mouvements graphiques et des systèmes référentiels spatiaux chez l’enfant. Une panoplie de ces objets symboliques est reproduite dans la première salle pour permettre un regard pédagogique sur ce qui inspire l’artiste dans son atelier. Sans reproduire fidèlement l’organisation des objets dans l’espace, le commissaire préfère évoquer, montrer, plutôt que copier. On salue ici l’initiative.
La deuxième salle permet aux différents publics d’apprécier les œuvres d’atelier et également les œuvres d’extérieur, souvent réalisées lors des voyages de l’artiste. Miró, pour peaufiner son travail, n’aura de cesse pour la recherche formelle. Grand voyageur, il ne manque pas de créer là où il se trouve et selon l’inspiration du moment, souvent des petites études sur papier, des notes, des croquis, tout ce qui sert par la suite de matière pour les grandes œuvres à produire.
La troisième salle est consacrée à une forme d’abécédaire des « Signes et symboles » pour montrer les iconographies de l’artiste. Des cahiers du peintre sont ainsi présentés, de même que des petites sculptures, des tableaux volontairement morcelés, des « chromos » – entendre des croûtes –, achetés dans des brocantes pour ensuite servir de trame de fond pour une œuvre. Cela permet une rencontre intéressante pour se familiariser avec la symbolique et l’aspect caractéristique de l’univers de Miró.
Les esquisses et les œuvres montrées juste avant ouvrent la voie pour le dénouement de cette exposition. Les œuvres grand format présentées dans la quatrième et dernière salle auront la part belle pour un spectateur émancipé; foudroyé par la couleur, embrassé par le mouvement, amusé par le ton, intrigué par le motif chez Miró, éternel enfant prodige dont l’univers magique hante nos imaginaires.
Les tableaux en mouvement
Harold Rhéaume a récidivé avec une performance présentée dans le grand hall du Pavillon Pierre Lassonde du 29 mai au 2 juin dernier. Inspiré par l’univers singulier de Miró, le chorégraphe de Québec entend proposer une vision personnelle de l’effet des œuvres du peintre catalan sur le corps du danseur. Après avoir auditionné des danseurs de partout au pays, Harold Rhéaume a réuni une cohorte issue du milieu professionnel et émergent afin d’offrir une expérience organique, à l’instar du travail du peintre. Si Miró sert de canevas pour enrichir la création chorégraphique, il va de soi que les exigences de la danse, et a fortiori les contraintes de la création, aboutissent à une œuvre très personnelle. D’ailleurs, la vie riche de l’artiste surréaliste semble servir de propos à la danse. Un peu comme pour Giacometti auparavant, le chorégraphe propose une œuvre impressionniste, créée sur une courte période de deux semaines.
Miró à Majorque. Un esprit libre
Musée national des beaux-arts du Québec
Du 30 mai au 8 septembre 2019