Qu’ils soient familiers ou non avec le label Armani et Versace, les amateurs de beaux vêtements ou tout simplement de la « belle façon » ne manqueront pas l’occasion exceptionnelle de se gorger du « look italien » proposé par le Musée McCord. Hôte de la plus importante collection de costumes canadiens et européens du pays, le Musée présente en exclusivité canadienne une remarquable exposition sur la mode italienne de 1945 à nos jours. Organisé par le VA Museum et présenté par le magasin Holt Renfrew, l’événement retrace les moments clés de l’évolution de la mode italienne après la Seconde Guerre mondiale à travers plus de 130 vêtements et accessoires remarquables.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Italie est un pays meurtri. Sa population affiche un taux d’analphabétisme de 50 % et ses frontières sont redéfinies selon les termes des vainqueurs. Les efforts du régime fasciste pour réguler le secteur du vêtement depuis 1936 ont eu peu de succès, les régionalismes refont surface. Heureusement, en 1947, made in USA, le Plan Marshall tend à redresser l’économie des pays de l’Europe de l’Ouest les plus touchés par la guerre (non sans quelques arrière-pensées sur l’impérieuse nécessité d’endiguer la progression du communisme). Pour restaurer les relations avec l’Italie, pour revitaliser son économie, quels meilleurs ambassadeurs que ses domaines du vêtement et du textile ?

Si l’Italie peut compter sur de nombreux artisans talentueux et un savoir-faire dans le secteur du textile perfectionné depuis des siècles, tout un travail reste à effectuer sur le plan de la création, car la mode inspirante est toujours celle de Paris, inlassablement copiée dans les ateliers de couture. Le coup d’envoi va être donné par un certain Giovanni Battista Giorgini, acheteur pour de grands magasins américains à l’affût de nouveautés. Giorgini décide de faire connaître le potentiel des ateliers de couture italiens en organisant des défilés à Florence. Dès le premier événement, en 1951, le succès est immédiat. Aussitôt, plusieurs couturiers italiens parmi lesquels se distinguent Sorelle Fontana, Simonetta et Emilio Pucci, suscitent l’intérêt des acheteurs étrangers, notamment les magasins Henry Morgan et Holt Renfrew à Montréal. Pleines de fraîcheur (les petites tenues de plage, par exemple) et nettement moins chères que les collections de Paris, les créations de la mode italienne conquièrent peu à peu le marché nord-américain florissant. L’architecture de la Renaissance constitue un réservoir inépuisable de cadres enchanteurs qui vont lui fournir un socle historique et remplir les magazines de mode internationaux. En témoigne dans la première section de l’exposition, « Naissance de la mode italienne », une magnifique photographie montrant une robe du soir de Simonetta en harmonieux dialogue avec les bustes princiers qui l’entourent.

Tout un cinéma

À la fin de la guerre, le système privilégié est encore largement celui de l’atelier de couture local tenu par la sarta (couturière), qui engage du personnel qualifié. Ce que l’on sait moins, c’est que ces ateliers n’étaient pas l’apanage des classes modestes : à l’instar de Simonetta (née Colonna di Cesaro et mariée à un Visconti), de nombreuses femmes de la noblesse dirigent un atelier de couture et diffusent leurs créations auprès d’une clientèle de marque. Après la guerre, le cinéma contribuera fortement à répandre les images du style de vie à l’italienne La deuxième section (« Hollywood adopte l’Italie ») montre la façon dont les stars d’Hollywood sont devenues les ambassadrices de la mode italienne, alors que de nombreux films américains sont réalisés dans les studios de la Cinecittà à Rome. Mode et design avancent main dans la main : une rutilante Vespa trône fièrement dans une vitrine. Une photographie montre Audrey Hepburn et Gregory Peck dans Vacances romaines (1953) paradant sur le deux- roues iconique.

Réparti sur cinq sections, le découpage de l’exposition suit un ordre chronologique. Un des intérêts de cet agencement tient à l’attention accordée au vêtement masculin (section « Art du tailleur ») : les pièces présentées confirment la réputation de légèreté et d’élégance associée au complet italien. La perfection de la finition se devine plus qu’elle ne se constate, à cause de l’éclairage modéré et de l’impossibilité de regarder les vêtements de près, une situation qui affecte l’ensemble des objets exposés.

À l’heure de la mondialisation

On apprend que d’une grande ville à l’autre, la façon diffère : un œil exercé peut distinguer un costume confectionné à Naples de son équivalent romain. Les deux dernières sections (« Fabriqué en Italie » et « Le culte du créateur de mode ») illustrent, après la popularité de la haute couture, l’essor fulgurant des vêtements produits en série, sous l’impulsion d’Armani, Versace, Krizia, Max Mara. L’art de la maille atteint un niveau remarquable dans les créations de Missoni et Biagiotti. Avec Milan pour capitale, la mode italienne vit durant les années 1980 l’apogée du label Fabriqué en Italie. Du côté des accessoires, les créations de Gucci et Trussardi témoignent d’un très haut niveau de qualité. La dernière salle, où bon nombre de vêtements arborent de splendides broderies, évoque davantage la situation désormais très internationalisée de la mode italienne. Ses designers viennent de partout dans le monde et plusieurs très grandes marques se retrouvent entre les mains de groupes étrangers. La seule étiquette « Made in Italy » ne garantit plus l’origine 100 % italienne. Certaines marques s’en cachent ; d’autres l’affichent (campagne Prada) ; le « mal » est planétaire. Dans le monde de la confection et des ateliers, la relève se fait plus difficilement qu’avant, mais de grands efforts sont entrepris pour maintenir en Italie une série de spécialités où l’expertise est inégalée : broderies, travail des cuirs, maîtrise de la combinaison de fibres, teintures de soies aux motifs complexes.

Pour compléter le panorama, un film composé d’entretiens avec des personnalités du milieu de la mode permet d’en apprendre un peu plus sur l’univers de la mode italienne et aussi sur son avenir, à l’heure de la mondialisation.

Au terme de cette promenade qui reste globalement un régal, voici une réflexion pratique : pourquoi ne pas avoir proposé aux visiteurs des tiroirs de tissus, d’échantillons brodés, de cuirs et de fibres à toucher afin de leur enseigner et de leur transmettre ce qui fait la qualité finale unique d’une matière ou d’une finition travaillée « à l’italienne » ? Dans ce registre, l’œil n’égale pas la main.

ELEGANZA – La mode italienne de 1945 à aujourd’hui
Commissaire : Sonnet Stanfil, conservatrice en chef par intérim, mobilier, textile et mode, Victoria and Albert Museum, Londres
Musée McCord, Montréal
Du 26 mai au 25 septembre 2016