« Pour la première fois, nous réunissons sous un même toit quatre grands maîtres de la modernité au Québec. » Line Ouellet se réjouit. Depuis l’hiver dernier, au cœur du Musée national des beaux-arts de Québec qu’elle dirige, le pavillon Charles-Baillargé a trouvé une véritable vocation. Lemieux, Pellan, Leduc, Riopelle y occupent dorénavant une salle monographique.

Avec ce regroupement, le MNBAQ, explique Line Ouellet, amorce le redéploiement de ses collections. « C’est un premier pas vers le grand complexe muséal qui verra le jour avec l’ouverture en 2015 du pavillon Pierre Lassonde actuellement en chantier et consacré à l’art contemporain québécois. »

Caverne d’Ali Baba des œuvres de ce quatuor, l’ancienne prison conçue par l’architecte Charles Baillargé en 1867 a été complètement restaurée et renouvelée. Un tout nouveau café s’est installé dans l’atrium du pavillon. Avec ses proportions généreuses, ce point nodal piranésien assure la communication entre les salles. Par ces transformations, le pavillon Baillargé, intégré pourtant au musée depuis une vingtaine d’années, voit ses espaces mieux définis et plus propices aux fonctions muséologiques.

Ces quatre artistes, le MNBAQ les accompagne depuis des lustres. Né à Québec, Pellan a tenu ici, après Montréal en 1940, une exposition marquant son retour au pays. Provocation pour les uns, stimulation pour les autres, ses œuvres témoignaient des innovations de l’École de Paris. Dès 1966, Fernand Leduc se manifestait au Musée. Pour sa rétrospective de 1967 où une nouvelle génération d’amateurs d’art québécois l’ont redécouvert, Riopelle conçoit une série d’assemblages lithographiques destinés aux ouvertures ogivales de la rotonde du musée. Par la suite, Riopelle caresse le rêve non abouti de transformer l’ancienne prison de Québec en une fondation à son nom.

Avec des ensembles cohérents et une sélection judicieuse s’étalant de façon chronologique sur plusieurs décennies, l’apport de chacun des artistes embastillés nous est communiqué avec lisibilité. Derrière une apparente simplicité, les concepts qui guident l’aménagement de chaque salle cachent des solutions inventives et originales.

Pour Pellan, tout se joue au départ à Paris durant les années 1920-1930. La figure du sorcier proche du surréalisme accolée à l’artiste se double de celle du jardinier hors pair qui cultive les influences et transplante au Québec les boutures de la modernité. Autour d’un noyau d’œuvres, souvent remarquables et qui constituent à elles seules un pan stupéfiant de la collection Alfred Pellan. Le rêveur éveillé, s’ajoutent de nouvelles acquisitions provenant du legs de Madeleine Poliseno, la femme de l’artiste.

Intitulée Jean-Paul Lemieux. De silence et d’espace, la salle dédiée au peintre de l’Isle-aux-Coudres se base sur la centaine d’œuvres de Lemieux de la collection du MNBAQ, la plus importante au pays. Pour peu, on en voudrait au Musée d’avoir gardé trop longtemps tous ses trésors trop secrets. L’ensemble déjoue avec subtilité la perception trop unidimensionnelle d’une œuvre où se devinent, comme dans les marges, des inspirations, certains thèmes insoupçonnés.

Constituée à partir de la collection du Musée et un don de l’artiste, Fernand Leduc. Peintre de lumière réunit peintures automatistes, œuvres témoignant d’une géométrie de plus en plus souple ainsi que ces capteurs de lumière que sont les Microchromies.

À partir d’un bloc d’acquisitions réalisées alors, le MNBAQ consacrait depuis l’année 2000 une salle à Riopelle dans le pavillon Gérard- Morisset. Leur relocalisation, et l’apport d’œuvres qui sortent enfin de leur réserve, font voir d’un nouvel œil ce qui chez Riopelle n’a rien de darwiniste. Jean-Paul Riopelle. Métamorphoses retrace, tous médias confondus, une évolution qui se tisse souvent de retours, d’enrichissement de certains thèmes repris parfois à des années d’intervalle.

Bien sûr, de telles concentrations d’œuvres des maîtres de l’art québécois existent ailleurs, dans d’autres musées. Le plus souvent soustraites au regard, elles ne semblent exister que pour resurgir lors d’improbables rotations ou servir de matière première à des présentations temporaires espacées. Il est donc rare que soient concoctés en bloc des accrochages aussi denses d’un même artiste, englobant de surcroît un foisonnement de périodes. Souhaitons que l’initiative se prolonge et englobe d’autres artistes, John Lyman par exemple. Son legs en 1967 avait fait l’objet à Québec d’une salle distincte, fermée au début des années 1980.

Avec cette renaissance du pavillon Charles-Baillargé, le MNBAQ amorce un double rôle : tout autant celui de réceptacle d’œuvres québécoises exceptionnelles que celui de musée d’élection pour les collections de référence qui y sont déposées. Ironie du sort : tandis que se forge un lieu unique voué à l’art québécois, les cordons de la bourse se resserrent. Au MNBAQ, des coupures de 500 000 $ étaient annoncées fin avril.

LEMIEUX, PELLAN, LEDUC, RIOPELLE
Musée national des beaux-arts du Québec