Les 50 ans de Graff. Les nouveaux espaces de l’art imprimé
Pour célébrer ses 50 ans, l’atelier de création en art imprimé Graff organise une exposition qui a pour particularité d’explorer les innovations qui bouleversent et revitalisent le monde de la gravure et de l’imprimé.
Atelier Graff a invité 10 artistes à produire des œuvres qui remettent en question la notion d’espace dans l’art de l’imprimé. L’occasion tombe bien puisque l’atelier vient de déménager et s’est installé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve (HOMA) à Montréal.
Revoir la notion d’espace appliqué à l’art de l’imprimé aujourd’hui va de pair avec un travail sur la volumétrie. Une telle révision ne surprend pas la nouvelle génération d’artistes habitués à passer du 2D au 3D et habitués aussi à réaliser des œuvres hybrides : installations ou animations vidéo. Rien d’étonnant donc que sur les 10 artistes choisis, deux seulement comptent des pièces qui s’accrochent au mur. Cependant, dans le cas de l’exposition Espace imprimé, espace ouvert, au fil des projets proposés, la notion d’espace s’est davantage étendue à l’espace de proximité : « espace intime, social et liminal », explique la commissaire Émilie Granjon.
Superposition
« Ce qui lie ces œuvres entre elles, explique-t-elle, c’est qu’il y a soit une utilisation concrète de l’imprimé dans l’espace, soit un investissement conceptuel de l’imprimé comme, par exemple, dans le cas de la superposition. »
Avec Typographie d’un murmure, l’artiste Marie-France Légaré aborde la superposition dans l’espace intime. Elle a créé un dôme sous lequel le visiteur pénètre ; il entend alors des voix auxquelles sont superposés ou juxtaposés des textes imprimés. Les mots – il s’agit d’une liste de choses à faire – sont murmurés sous la forme d’une narration fragmentée ; ils font ainsi écho au texte imprimé à la surface du dôme.
Les artistes Allison Moore et Arthur Desmarteaux, avec Curieux firmament ou le repos du monde tournoyant, transportent les visiteurs dans un espace imaginaire, à la fois microscopique et macroscopique, matérialisé, là encore, avec un dôme pour support. D’un côté, on découvre les profondeurs de l’océan et, de l’autre, un univers inventé. L’un et l’autre s’amalgament dans un environnement audiovisuel immersif, imprimés en sérigraphie et animés par des vidéos.
Chez Eva Meyer, l’expérience de la vie quotidienne et de l’errance s’effectue dans l’espace liminal, entre le réel et l’imaginaire. L’installation Lisières est composée d’un collage de fragments d’images photographiques et de sérigraphies collées à un mur au pied duquel des débris jonchent le sol. Au mur, se superpose une vidéo. « C’est dans cet espace que les lieux se définissent et se redéfinissent, que l’identité en mouvement se construit et que le réel défie l’imaginaire », commente Émilie Granjon.
Plans devenus volumes
Certains artistes se sont inspirés de la notion d’espace pour doter les surfaces planes d’une troisième dimension. Dans La machine paysage, Andrée-Anne Dupuis Bourret a recomposé un jardin hydroponique avec des modules en papier imprimé inspirés de jardins, de fermes et… de jeux vidéo !
La mise en volume du papier se déploie aussi dans la structure aérienne de Catherine Béliveau. L’artiste a repris les plans des architectes et les croquis de l’ancien pensionnat Saint-Basile – le bâtiment qui abrite maintenant la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal – et les a imprimés sur de grandes feuilles transparentes. Elle a ensuite pratiqué des incisions le long de tracés préalablement choisis et a déplié l’amoncellement des découpes de manière à produire des formes originales. L’œuvre s’intitule Suspension II.
Annie Conceicao-Rivet propose, elle aussi, des pistes de réflexion fécondes à partir de l’imagerie 3D. Pour La rencontre des masses : matrices de conception, elle a accumulé pendant plusieurs mois les déchets domestiques recyclables qu’elle a produits et les a disposés en amoncellement. Elle a fait numériser en 3D cette montagne de déchets et en a créé une image numérique en trois dimensions, qu’elle a divisée en tranches horizontales afin d’obtenir une imagerie de l’objet numérisé en couches superposées. Elle a ensuite reproduit méticuleusement chacune de ces couches avec les matériaux compris dans son amoncellement de déchets (carton, plastique, etc.) afin de recomposer l’amoncellement original. « Il y a, dans ce projet, tout un travail de superposition de couches qui est familier à la sérigraphie », observe Émilie Granjon.
Dans le même esprit de superposition, avec Écrans pour le véhicule unanimité, Mathieu Jacques utilise des rétroprojecteurs sur lesquels des acétates imprimés de motifs en sérigraphie sont agités à l’aide d’un mécanisme rudimentaire. Les deux images superposées produisent ainsi une animation qui est projetée sur un écran.
Dans l’installation Piñatas les misanthropes, l’artiste Guillaume Brisson-Darveau montre, dans une étrange étreinte, deux ours de taille humaine, constitués de carton recouvert de papier. Lutte ou accolade ? Perçu comme un jouet mexicain, on peut croire qu’il s’agit d’un jeu ; cependant, à la vue des détritus répandus aux pieds des deux animaux, l’œuvre se prête à une lecture déplorant la souillure de la nature. De son côté, avec Société Écran, l’artiste Étienne Tremblay- Tardif aborde le déclin du journal quotidien imprimé. Les trois composantes de son œuvre occupent l’entrée, l’intérieur et l’extrémité de la salle d’exposition. Une murale de feuilles de journaux, sillonnées de ratures et de dessins obtenus à l’aide de masques et de pochoirs, accueille le visiteur ; viennent ensuite des colonnes recouvertes de miroirs où sont collées des feuilles transparentes sur lesquelles sont imprimés divers motifs ; enfin, un livre fait office de point d’orgue.
Innovation et mutation
« L’exposition destinée à souligner les 50 ans de l’Atelier Graff témoigne de la pérennité de l’esprit du graveur et prouve que l’estampe contemporaine va au-delà de l’impression d’images sur papier effectuée à partir d’une matrice », estime Émilie Granjon. Elle trouve, au contact des technologies électroniques ainsi que des potentialités et des propriétés, d’autres disciplines artistiques, de nouvelles formes d’expression qui offrent aux arts de l’imprimé l’occasion de se redéfinir pour explorer des avenues novatrices et audacieuses. »
Espace imprimé, espace ouvert
Commissaire : Émilie Granjon
Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, Montréal
Du 17 juin au 21 août 2016