Les Aztèques, peuple du soleil
Charme, terreur et… modernité
L’exposition Les Aztèques, peuple du Soleil offre une perspective nuancée du peuple fondateur de la ville de Mexico. Le musée Pointe-à-Callière régale les visiteurs avec une abondance de sculptures, de bas-reliefs, d’objets d’art et d’artisanat créés pendant les deux siècles de l’Empire aztèque, soit de 1325 (date de la fondation de Tenochtitlan) à 1521, année de l’invasion de la ville par Hernán Cortés.
Selon Jacques Soustelle, spécialiste de la Mésoamérique, l’art aztèque se caractérise par la perfection technique et la puissance symbolique. Des codex – documents écrits et illustrés dans le sillage de la conquista espagnole – placés de manière évocatrice tout au long du trajet muséal constituent des documents essentiels afin de comprendre l’univers aztèque : ces recueils de bandes en papier d’amate – essence extraite des forêts mésoaméricaines –, ou encore en cuir, dévoilent des aspects qui relèvent de la mythologie, de l’histoire et de la vie quotidienne des Aztèques.
Le circuit établi par l’équipe de Pointe-à-Callière, sous la direction de Francine Lelièvre, comporte un volet historique et anthropologique, qui met en lumière la vie quotidienne et l’histoire aztèque, et un volet qui traite de la mythologie et de la vie rituelle. Le parcours comporte une enclave consacrée à la conquête espagnole et au phénomène colonial du métissage des peuples et des cultures.
Tribu guerrière, issue du nord du Mexique, les Aztèques errent pendant trois siècles avant de fonder en 1325 leur capitale, Tenochtitlan, sur une île au milieu du lac de Texcoco (l’actuel emplacement de la ville de Mexico). Le choix du site émane du rêve prophétique d’un prêtre chaman – le rituel aztèque fait la part belle au rêve prophétique. Le dieu de la guerre, Huitzilopochtli, veut que la capitale soit établie là où un aigle royal posé sur un cactus dévore un serpent.
Huey Teocalli – ou le Templo Mayor – se dresse, avec ses deux tours pyramidales pourvues d’autels sacrificiels voués à Huitzilopochtli et à Tláloc. Au cours de deux siècles, à la faveur de conquêtes et d’alliances avec des tribus voisines à demi dominées, les Aztèques forgeront un empire de quelque deux cent mille kilomètres carrés. Nourris par les immenses redevances des peuples soumis, l’art et l’urbanisme fleurissent à Tenochtitlan. En 1521, après une incroyable et épique campagne guerrière, Cortés vient à bout du peuple aztèque : certes, la chance sourit au conquistador espagnol, mais il est aussi servi par la technique européenne du canon, des arquebuses portatives, par la protection de l’armure et par l’utilisation du cheval.
Les Aztèques étaient adeptes de l’urbanisme. Leurs villes présentaient une grande symétrie. Dans le contexte actuel, ils ont peut-être une leçon à nous offrir : à Tenochtitlan, toutes les nouvelles constructions devaient être approuvées par le calmimilocatl, un fonctionnaire chargé de l’urbanisme de la cité.
Influencé par la statuaire olmèque, par l’art de l’orfèvrerie des voisins mixtèques et huaxtèques au sud-ouest de Tenochtitlan, l’art aztèque fait preuve d’un vigoureux réalisme ainsi que d’un symbolisme ésotérique. On peut penser à une forme d’expressionnisme. En architecture, sculpture, orfèvrerie, dans l’art du masque en pierre semi-précieuse, on admire la puissance et l’énergie des formes. Les Aztèques savent travailler la roche vive dont ils tirent les figures de leurs dieux, d’animaux et d’humains, réalistes – mais parfois fortement stylisées – souvent afin d’inspirer la terreur. Tláloc, en céramique, avec ses incisives effrayantes, Coatlicue, mère des dieux, avec son collier de crânes, taillée en pierre volcanique, témoignent d’un irrépressible sens du macabre, augurant le sacrifice humain. Mais les bijoux en or présentés par l’empereur Moctezuma à Cortés font preuve de raffinement et de sensualité, ainsi que d’un sens des proportions harmonieuses.
Le mexicaniste Jacques Soustelle écrit : « L’art aztèque est moins flamboyant que l’art maya… moins rigide que l’art toltèque. (…) La notion d’art pour l’art est étrangère à ces civilisations. Leur art plastique s’acquitte d’une fonction déterminée : évoquer le monde du sacré, fournir au rituel l’iconographie et le cadre matériel qui doit l’entourer, rendre visibles, palpables les symboles qui constituent le langage ésotérique de la religion. »
Dans les codex – à l’instar de l’écriture chinoise –, les glyphes ou pictogrammes aztèques réunissent l’écriture et la peinture. À partir d’images concrètes, telles que les semelles qui représentent la migration, ou des bâtonnets arrondis qui annoncent la voix et la parole, l’écriture aztèque se dirige aussi vers le sens abstrait. Cette écriture préfigure la bande dessinée.
Des liens très clairs peuvent être établis entre l’écriture aztèque et le signe pictural qui distingue des artistes comme le Mexicain Sergio Hernandez ou le regretté Keith Haring (États-Unis), dont on peut citer un texte inclus dans le catalogue de l’exposition New Wave Aztec du Musée Guggenheim (2004) : « Mes dessins n’essaient pas d’imiter la vie ; ils créent la vie, ils inventent la vie. Voilà une idée bien plus primitive ; c’est la raison pour laquelle mes dessins ont l’air d’être à la rigueur aztèques, égyptiens ou aborigènes ; ils partagent la même intention : inventer des images ».
Les Aztèques, peuple du soleil
Pointe-à-Callière Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal
Du 30 mai au 25 octobre 2015