L’exposition de l’artiste Bernard Paquet, présentée au centre Art-image de la Maison de la culture de Gatineau, est le résultat de plusieurs années d’expérimentations picturales. La fabrique du corps I, une série de représentations d’organes montrée pour la première fois en 2018 à la Galerie des arts visuels de l’Université Laval à Québec, s’inspire de la médecine régénérative, selon laquelle le corps pourra, dans un avenir encore plus anthropisé, assurer sa longévité en se régénérant (sur)naturellement – ou artificiellement.

Formé en biologie avant de faire ses beaux-arts à Paris, Paquet réalise dans cette optique des corps renouvelés qui s’extirpent de la vérité morphologique humaine. Il détourne ce qu’il a précédemment appris en laboratoire afin d’imaginer des formes anatomiques allusives et fictives, et ce, au moyen de techniques de peinture empiriques. Le praticien avance des connaissances réelles à titre de références explicites pour illustrer l’organisme d’une façon peu didactique, et plutôt utopique. Son interprétation picturale nous donne ainsi accès à des corps anticipés et fabriqués, comme s’il s’agissait d’un matériau malléable et immuable.

Néanmoins, une question se pose : ces corps factices sont-ils fantasmés ou, à l’inverse, totalement déréglés ?

Néanmoins, une question se pose : ces corps factices sont-ils fantasmés ou, à l’inverse, totalement déréglés ? Sortes d’évocations d’existences, ces parcelles d’êtres charnels s’appréhendent comme une réalité autre; des corps en mutation qui se renouvellent encore et encore. Les formes de couleurs incandescentes et éclatantes – non naturelles – mettent en valeur les muscles striés et les organes hachurés de ces corps permanents, en perpétuelle régénérescence. Les subtilités de la chair sont infinies. La plasticité de l’acrylique et de l’aquarelle, travaillées par couches multiples, permet à Paquet de laisser les motifs se révéler en des mises en relief picturales. Les techniques relèvent d’une exécution minutieuse, rigoureuse et laborieuse, évoquant des sensations corporelles, et faisant allusion à des formes anthropomorphiques, voire à un érotisme organique. La texture fibreuse attire et révulse tout à la fois l’œil du regardeur en générant des tensions et des frictions insoupçonnées.

L’exposition est précisément conçue pour favoriser un regard précis des visiteurs; les peintures de petit format incitent au rapprochement, et leur dimension sensible ajoute à la compréhension du corps. Bien que statiques, les imageries microscopiques semblent animées et suggèrent un mouvement qui se ressent au-delà du visuel : s’il est impossible de toucher aux œuvres, l’aspect haptique est toutefois efficace. S’ajoute à l’ensemble un diptyque de livres d’artiste disposé sur deux tables filiformes, que Paquet a créé entre 2016 et 2018 dans son atelier à Québec et lors de deux résidences à Porto Alegre (Brésil) et à Lisbonne (Portugal), dont la matérialité les fait graviter entre sujet et objet. Sortes de lexiques anatomiques improbables, ces palimpsestes à décoder s’avèrent complexes et non didactiques.

Vue de l’exposition La fabrique du corps I (2019)
Photo : Marc-Antoine Léveillé

Par l’entremise de cette itération de La fabrique du corps, Bernard Paquet soumet encore une fois l’organisme humain à de nouvelles associations formelles et conceptuelles, telle une imagerie médicalepost-humaine. Ces fragments de corps écorchés, sans épiderme, s’insèrent dans un horizon intemporel et perpétuel qui réfère au fantasme effarant selon lequel nous pourrions vivre éternellement. Au final, l’ensemble des propositions atteste de cet état illusoire de l’immortalité et avance une tentative idéalisée d’esquiver l’obscure temporalité dans laquelle l’humanité est actuellement plongée; ce monde voué à sa perte imminente.


La fabrique du corps I
Bernard Paquet
Centre d’exposition Art-image de la Maison de la culture de Gatineau
Du 26 septembre au 3 novembre 2019