Déclarer que les œuvres récentes sur papier de Béatrice Sokoloff sont « zen » ne nous apprendrait rien. En même temps, ce serait là les situer dans un certain climat, un esprit de méditation. Inspiré de la philo­sophie orientale, le regard de l’artiste est en communion avec la nature et la substance des choses.

Comme dans la peinture chinoise au lavis que Béatrice Sokoloff affectionne tant, le trait s’impose d’abord. Appliqué au pinceau, au couteau, se déroulant autour de quelques taches sombres, il organise la feuille et ses blancs. Ces traits sont tantôt courts et comme retenus, tantôt continus et tournoyants.

Les « impressions » se canalisent à la bordure de la feuille ou autour d’un élan vertical. Ces pivots sur lesquels ses gestes s’enlacent, risquant l’équilibre, concentrent un espace insaisissable entre les vides créés tout en donnant aux marques étalées à l’encre d’imprimerie un rôle d’étai pour une armature disloquée.

Quelque chose de l’arbre et de la forêt transparaît. L’écorce du papier s’imprègne de signes aux suggestions tactiles qui courent en virgules. Ces réminiscences s’opposent à toute figuration. Comme dans la peinture chinoise, il s’agit en fait de serrer au plus près et d’évoquer les mouvements de la vie, d’en épouser les échos et la profusion.

Sur certains monotypes, des écrans qui se répètent en séquence cadrent les masses de tracés noirs ou de couleurs. Les motifs de ces œuvres originales sont encrés selon la technique du monotype et retravaillés au pinceau ou au couteau à peindre. Leur diffusion sur la feuille obéit aux principes de la gravure et de l’estampage avec leurs ruptures, leurs passages, leurs répétitions, mais aussi les variations sur un même thème qui en découlent.

Écrans ou plans translucides pourraient contenir les signes comme pour les maintenir dans un no man’s land, quelque part entre la présence désertique en perte d’intégrité ou une forme efflorescente de profusion qui évoque la vie végétale, l’arbre, la forêt, la jungle.

Les multiples correspondances suscitées ainsi véhiculent un mode de structuration où joue une vision régénératrice des cycles de la nature. Certaines œuvres privilégient le noir et blanc ou la richesse des gris. Devant elles, on pense à la succession du jour et de la nuit ou au passage des saisons. D’autres, plus touffues, mettent l’accent sur les floraisons de la couleur.

Des tensions s’expriment notamment dans le geste. Si le trait comme « plombé » se fait ancrage et mémoire, les mouvements semblent pourtant sans cesse glisser et nous échappent.

De l’un au multiple, les interventions naissent, apparaissent et s’enracinent. Quelque chose de fixe serait contré par les clivages verticaux. Une force centrifuge appelle à la prolifération. Ce foisonnement déborde vers le hors-cadre. Des bouquets se prolongent en entrelacs, saisis comme jusqu’à l’infini pour se jouxter et s’additionner selon un continuum organique. Les tracés fluctuent dans un espace où la juxtaposition des motifs, des patterns et des écrans en laizes privent l’œil de repères.

La sobriété rejoint la dépense. En noir et blanc ou en couleur, entre rigueur et excès, allant à l’essentiel mais sans cesse cheminant vers « autre chose », oscillant entre la tentation du vide et l’appel du trop-plein, il se joue dans ces œuvres une présence à la fois fugace et générative. Entre ces polarités, les monotypes de Béatrice Sokoloff apparaissent comme autant de « champs de force ».

BÉATRICE SOKOLOFF L’UN ET LE MULTIPLE
Galerie Beaux-arts des Amériques, Montréal
Du 7 mars au 7 avril 2013