Les Grecs – d’Agamemnon à Alexandre Le Grand. La Grèce et ses dieux à figure humaine
Plus de cinq cents œuvres d’art et objets archéologiques témoignent de plus de cinq mille ans d’histoire de la Grèce. Ils jalonnent l’exposition Les Grecs — D’Agamemnon à Alexandre le Grand.
La civilisation de la Grèce classique, et particulièrement celle d’Athènes, a constitué des références pour l’Empire romain ainsi que pour les cultures de l’Occident. Or, ce qu’illustre l’exposition Les Grecs – D’Agamemnon à Alexandre le Grand est le fait que la Grèce antique a conjugué au fil du temps une succession de cultures et d’expressions artistiques. À cet égard, Athènes marque un point culminant dans l’Antiquité, tout en représentant l’aboutissement d’une longue histoire. Le circuit du Musée Pointe-à-Callière commence avec les premières cultures sédentaires antérieures à 6000 av. J.C., se poursuit avec les cultures des Cyclades puis par la culture crétoise et mycénienne du deuxième millénaire av. J.C., accorde une place importante à la Grèce archaïque qui prépare le sommet représenté par Athènes, et s’achève avec les objets découverts dans les tombeaux royaux de la période de Philippe II de Macédoine et de son fils Alexandre le Grand, qui meurt en 323 av. J.C., date marquant le début de l’époque hellénistique.
Vingt-et-un musées grecs, dont le réputé Musée national d’archéologie d’Athènes, ont fourni des œuvres pour l’événement. Selon ses organisateurs, il s’agit de la plus importante exposition d’art de la Grèce antique réunie en Amérique du Nord depuis une génération. Dirigée par Terence Clark, archéologue du Musée canadien d’histoire à Gatineau, cette réalisation résulte d’un effort commun de quatre musées nord-américains – dont le Musée Pointe-à-Callière – menée en collaboration avec la Direction générale des antiquités et de l’héritage culturel de la Grèce.
Un certain nombre des œuvres proposées font partie des chefs-d’œuvre de l’art de la Grèce antique. On peut ainsi admirer, au fil du circuit, l’allégresse des formes et le chromatisme lyrique des fresques d’oiseaux du palais royal de Cnossos, en Crète (milieu du deuxième millénaire av. J.C.) ; des masques funéraires en or de Mycène découverts par l’archéologue allemand Heinrich Schliemann ; une réplique romaine d’un buste athénien de Platon datant du quatrième siècle av. J.C. ; une statuette hellénistique en marbre blanc représentant Alexandre le Grand dans un corps d’éphèbe nu, une expression de Pan, dieu de la nature sauvage.
La scénographie personnalise certains héros. Ainsi, la narration aborde l’énigme d’Homère, barde légendaire, qui a légué à l’histoire et à la littérature la richesse dramatique et mythologique des épisodes de la guerre de Troie. Le commentaire aborde quelques aspects du débat savant autour du masque royal, dans lequel, à la suite de Schliemann, on a longtemps cru reconnaître la figure d’Agamemnon, roi de Mycène et personnage homérique : les spécialistes ont décelé une erreur de datation. Ailleurs, au long du circuit, le texte explicatif esquisse l’image du célèbre roi Léonidas, mort en 490 av. J. C. avec 300 Spartiates en combattant les envahisseurs perses de la Grèce… Les fastes de la cour de Philippe II de Macédoine et l’extravagance royale deviennent palpables aux yeux du spectateur dans la dernière étape du parcours, grâce à des objets somptuaires provenant des caveaux des tombeaux royaux d’Algaï, au nord de la Grèce.
Si une particularité semble également partagée par les cultures de la Grèce, elle tient à l’abondance des objets en or. L’intérêt pour ce précieux métal remonte aux premières cultures sédentaires, comme l’atteste un magnifique pendentif rond avec une grande ouverture circulaire au centre, qui était attaché à des vêtements cérémoniaux, daté de la fin du néolithique (4500 à 3200 av. J.C.) et provenant de l’ouest de la Macédoine. La culture mycénienne regorge d’objets en or : masques funéraires, colliers, boutons de vêtements, coupes cérémoniales, ornements d’épées. S’ajoutent les deux masques royaux – dont celui faussement identifié à Agamemnon – attirant par leur curieuse beauté.
Enfin, l’époque macédonienne (330 av. J.C.) ne dément pas l’attrait pour l’or comme le prouvent, par exemple, un anneau où l’on peut lire l’inscription Kleitai doron (un cadeau pour Kleita), ou encore, trouvée dans le tombeau d’un prêtre-guerrier, une couronne en or formée d’une ramée de feuilles de myrte rehaussée de fleurs, de pétales et de pistils, dont la délicatesse et le réalisme du travail sont saisissants.
Des représentations du corps féminin produites au néolithique tardif ou au cours de la culture cycladique entre environ 5000 et 2300 av. J.C. sont chargées d’une grande énergie archétypale. Elles remplissaient une diversité de fonctions, dont des rites de fertilité et d’initiation, sous le pouvoir de la Grande Déesse mère. Le sexe féminin est parfois marqué d’une fente verticale. Les traits et les volumes des figurines sont extrêmement géométrisés. L’art cycladique, dans sa simplicité, son abstraction et son équilibre, a constitué une puissante source d’inspiration pour des peintres et des sculpteurs du XXe siècle, notamment Modigliani, Lipchitz, Giacometti ou Henry Moore.
La culture commerciale et bureaucratique minoenne est fort complexe. Dénommée aussi « culture palatiale », centrée autour de palais, elle connaît à la fois l’écriture hiéroglyphique et l’écriture linéaire. Son principal foyer est l’ensemble palatial de Cnossos. L’extrême raffinement de la culture crétoise s’exprime dans l’abondance de l’or, mais aussi par des objets domestiques : cruches, jarres, amphores en argile… Les peintures murales animées d’un gai chromatisme dégagent un air de légèreté. Tel est le cas d’une scène où une femme et un jeune homme sont représentés de manière ludique et l’on dirait « laïque », dans une insouciante joie de vivre, que l’on peut également retrouver un demi-millénaire plus tard dans l’art étrusque, comme l’illustrait déjà l’exposition Les Étrusques, présentée par le Musée Pointe-à-Callière en 2012.
Par contraste, l’art hellène, à partir de l’âge mycénien, fait preuve d’une gravité existentielle, sans pour cela exclure le luxe et des aspects festifs.
L’écriture linéaire B constitue la forme initiale de la langue grecque ancienne. Inscrite sur des tablettes en argile découvertes à la fois en Crète et à Mycène, cette écriture a été déchiffrée (contrairement à l’écriture linéaire A). Ainsi, un lien peut être tracé entre Mycène et la Grèce classique.
Au rythme des statues du VIe siècle, Kouroi et Korai, jeunes hommes et femmes debout et illuminés d’un sourire ravi, les Grecs « apprennent à représenter le corps », selon Jacques Perreault, professeur d’archéologie de l’Université de Montréal. « Le miracle grec a lieu, explique M. Perreault. Les sculpteurs transforment, apprennent ; ils innovent. » Des Nikes, statues votives ailées d’apparence féminine qui semblent prêtes à s’envoler, appartiennent à cette période. En l’espace d’un siècle, les Grecs maîtrisent la représentation fidèle – idéalisée même – de l’anatomie et du corps athlétique en mouvement. Les dieux, alors, s’érigent à l’image des hommes.
Illustrant l’importance historique de la Grèce, l’exposition inclut des bustes et des statues de Sophocle, Démosthène, Platon et Aristote. Il s’agit de copies romaines d’originaux athéniens perdus. D’un artiste inconnu, le buste de Platon, au regard intériorisé et au front massif, réussit l’exploit de traduire la force d’une pensée qui transcende l’histoire.
À la fois plus délicat, agité et sensible à des effets de perspective, moins grave ou existentiel que l’art d’Athènes, l’art de la sculpture, de la mosaïque et du travail des métaux à la cour de Philippe II s’ouvre sur l’éloquence mouvante de l’époque hellénistique…
Réaliste, d’une figuration accomplie et idéaliste, empreinte du concept d’équilibre et de modération, l’esthétique humaniste de la Grèce classique accompagnera l’Occident jusqu’à l’éclosion des courants modernistes dans la deuxième moitié du XIXe siècle. C’est dire son immense portée.
LES GRECS — D’AGAMEMNON À ALEXANDRE LE GRAND
Pointe-à-Callière Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal
Du 12 décembre 2014 au 26 avril 2015