À propos de l’exposition Sondage 70 au Musée des Beaux-Arts de Montréal.Depuis quelques années, de nouvelles tendances artistiques se multiplient, se bousculent et se dévorent. Les arts plastiques sont bien vivants. De nouveaux langages, au Canada comme ailleurs, succèdent au Pop Art et au Minimal Art, deux mouvements qui s’opposent et se complètent. Cette année, le Musée des Beaux-Arts de Montréal a voulu montrer, lors de son exposition annuelle du Printemps, un secteur particulier de la plastique canadienne, en choisissant comme thème le Réalisme. Au Québec, nous semblons, selon certains, préférer l’abstrait, ce qui expliquerait peut-être la faible participation de nos artistes.


Dans une représentation figurative de la réalité (celle des exposants en l’occurrence), on introduit des éléments symboliques qui sont, par définition, des signes abstraits, véhicules d’une idée dont la signification a été établie socialement. C’est la relation entre la figure et la signification qui est symbolique. Ces symboles expriment souvent le côté facétieux de la réalité. Cela ne signifie pas que facétie et réalité soient désignées comme sujets de la représentation, mais qu’au contraire elles font simplement partie des forces qui sous-tendent le réel. En effet, il faudrait savoir en quoi l’humour parfois agressif de certains (Sasaki, par exemple) prend sa source, en quoi le moralisme hyperbolique de certains autres (la nature, le social-mal, le primitif-bon, etc. ) est prétexte et pré-texte. Bien loin de vouloir un prix de nouveauté ou de changement, les Néo-réalistes font en sorte que leur parodie de la vie quotidienne soit une perturbation dans ce que la vie a de plus immédiatement perceptible, de plus concret. Ils veulent transmettre cette perturbation de la façon la plus directe.

C’est aux États-Unis que Kienholz. un des premiers, avant même que le Pop n’apparaisse, exposait dès 1961, à Los Angeles, de véritables tableaux vivants sans omission de détails, reflétant un univers terrifiant et tragique. Cependant, une grande tendresse l’habite ainsi qu’une grande poésie, contrairement à la plupart des artistes américains d’aujourd’hui. Au Canada, sauf Sasaki qui est d’une violence agressive, Fafard, Falk, Sawchuk et Tapamla accroissent le sentiment d’inquiétude qui nous prend, à nous voir faisant nous-mêmes partie de ce quotidien banal et obsédant qu’est la vie. D’autres nous font vibrer encore davantage par leur raffinement et leur subtilité Curnoe, Chambers, Dale, Davis, Miller, MacGregor, Ondaatje, Swell, Smith, Van Dalen, Venor, s’expriment avec âme, avec sincérité. Une poésie réelle et même sereine s’en dégage nettement. Mais sous le manteau de l’humour il y a peu d’espoir. « Pour qui l’applique aux êtres humains et le pousse à l’extrême, le réalisme pourrait-il déboucher sur autre chose qu’une tragédie? » écrit Michel Leiris à propos de Bacon. Leurs engagements, leurs protestations sont profondément sentis, et les artistes ne contestent pas pour le plaisir de détruire. Ils éliminent le discours, la cohérence et l’unité du langage. Ils ne s’adressent plus au marchand d’art. II n’y a plus un objet mais un ensemble d’objets, un tableau, une tranche de vie où le marchand est remplacé par le public.

Ceci dit, il reste impossible de les classifier. Heureusement, chacun est lui-même et ressent la vie à sa manière. Cependant, à l’intérieur du cadre de l’exposition, M Amaya, qui voulait sa nouvelle expérience « didactique et populaire », nous a présenté un assemblage peut-être un peu trop hétéroclite et inégal. Ses termes prêtent d’ailleurs, en raison de leur contenu surdéterminé, une certaine confusion qui se manifeste à la fois au niveau de la réaction du public et au niveau interne par la juxtaposition anthologique d’oeuvres qui peuvent se contester entre elles ou contester le thème même de l’exposition et l’introduction de M Amaya. Si, comme on le dit, l’oeuvre d’art est réflexion sur les conditions de possibilité de l’expérience réelle, il s’ensuit que le temps devra jouer un rôle déterminant puisque c’est le temps, dans sa présence, qui rend toute expérience possible et que c’est à partir de ce qu’on entend par présent que s’éclaircira la richesse thématique de l’expérience. « Le temps n’a qu’une réalité, celle de l’instant. Autrement dit, le temps est une réalité resserrée sur l’instant et suspendue entre deux néants. Le temps pourra sans doute renaître, mais il lui faudra d’abord mourir. II ne pourra pas transporter son être d’un instant sur un autre pour en faire une durée. L’instant, c’est déjà la solitude c’est la solitude dans sa valeur métaphysique la plus dépouillée. Mais une solitude d’un ordre plus sentimental confirme le tragique isolement de l’instant. Par une sorte de violence créatrice, le temps limité à l’instant, nous isole non seulement des autres mais de nous-mêmes puisqu’il rompt avec notre passé le plus cher… le temps se présente comme l’instant solitaire, comme la conscience d’une solitude… il faut se pénétrer de la totale égalité de l’instant présent et du réel… Si mon être ne prend conscience de soi que dans l’instant présent, comment ne pas voir que l’instant présent est le seul domaine où la réalité s’éprouve » (Bachelard, L’Intuition de l’instant) C’est à travers cet instant présent que les Néoréalistes ressentent leur réalité.

D’autre part, MacGregor, un des artistes interrogé récemment par CBC, disait qu’il voulait être le « miroir de la société ». Le miroir pourrait bien être aussi un concept et un instrument opératoire pertinent pour une pénétration de la soi-disant diaphanéité de la présence du temps. L’artiste, en voulant être le reflet de la société qui l’entoure, fait appel à la distance entre l’image et le modèle, et du même coup fait de cette distance une fêlure, c’est aussi introduire dans l’instant « une distance intérieure » comme le dirait G Poulet (mais dans un autre contexte).

Saisir les scènes que nous ont présentées ces artistes, c’était nous forcer à rentrer en nous-mêmes, à comprendre nos propres gestes, revivre notre propre histoire et ressentir, au delà de la banalité, le tragique et souvent la solitude de notre quotidien.