Août 2015, Marc Garneau nous ouvre la porte de son atelier montréalais. Affable, il nous fait faire le tour du propriétaire avec un plaisir évident. Et contagieux. Entre tu et vous, la conversation suit les méandres de la visite des lieux, d’abord sur le balcon arrière, puis dans chacune des pièces de l’atelier. Elle change  mille fois de direction, dense, touffue, échevelée.

D’emblée, je brise la glace en demandant à Marc Garneau comment est survenue l’idée d’une rétrospective au 1700 La Poste. Candidement, il répond : « J’ai rencontré à plusieurs reprises Isabelle1 lors de vernissages et chaque fois, elle me disait : “il faut que vous exposiez chez moi”. Mais ça restait au stade de la conversation de vernissage. Il y a deux ans, nous avons pris le temps d’en discuter et de mettre des idées autour de ce désir, de son envie de comprendre, comme elle la désigne, “l’énigme Garneau”. Alors, on s’y est mis, et ça a pris forme peu à peu. »

Des tableaux et des objets

À quelques semaines du vernissage, l’atelier de l’artiste est jonché de tableaux ; les tables et les étagères alignent les objets les plus éclectiques, comme cet étonnant monolithe noir entouré d’un fil et recouvert de charbon. « C’est un objet personnel, fétiche même, qui a son histoire, confesse le peintre ; le fil, c’est celui que mon père utilisait pour marquer les allées de son potager. » Une étrangeté intitulée L’embryon, aux allures de maracas, est constituée d’un long bout de bois trouvé et d’un gros œuf d’autruche. « Un ami élevait des autruches et faisait le commerce des œufs, mais celui-là, à cause de sa forme irrégulière, ne pouvait être vendu. Il me l’a donné, mais je n’ai pas su tout de suite quoi en faire. Puis, cette forme s’est imposée. »

Ces objets, comme plusieurs autres, seront au nombre des artefacts de l’ombre exposés pour la première fois, avec quelque trente tableaux. Ils dialogueront dans une scénographie signée Lupien + Matteau, dont Garneau assure qu’elle sera novatrice, avec ses nombreuses cimaises qui redéfiniront l’espace en profondeur. « Ces objets seront rassemblés dans une espèce de coffre-fort, éclairés en contre-plongée », dit-il, avec une pointe de mystère et d’amusement.

Un catalogue accompagne l’exposition. L’artiste en attendait justement les bleus ce jour-là. « La partie biographique, rédigée par Laurier Lacroix, remonte jusqu’à mon enfance à Thetford Mines ; elle fait la part belle aux années de jeunesse et de formation au Cégep du Vieux-Montréal – entre autres avec Guy Boulizon – et à l’Université Concordia, avec comme professeurs Guido Molinari et Yves Gaucher, pour ne citer que les plus influents. Laurier Lacroix trouvait important de nommer mes maîtres afin de situer ma pratique dans l’histoire de l’art contemporain québécois. » Un essai de Ginette Michaud explore quelques pistes interprétatives, dégage les motifs récurrents et les grandes orientations. Le tout est mené sous la direction d’Isabelle de Mévius, qui signe la préface.

Marc Garneau dans son atelier Photo : Gabor Szilasi

Entre figuration et abstraction

Tributaire de l’automatisme et de l’expressionnisme abstrait, Marc Garneau s’est forgé un langage pictural à mi-chemin entre figuration et abstraction ; prenant appui dans son environnement, il n’a de cesse d’explorer textures et objets dans une tension formelle proche des Combine Paintings de l’artiste américain Robert Rauschenberg (1925-2008). « En ville ou à la campagne, les lieux m’inspirent différemment, confie-t-il. C’est à la campagne que j’ai commencé à travailler le bois et le feu (série Les bois brûlés). » La cendre s’est souvent imposée comme médium de prédilection, dans un dialogue sensible avec le caractère minéral de la peinture.

Les grands comme les petits formats sont autant d’espaces d’expérimentation où surfaces colorées, morceaux de toile découpés, bois brûlés et objets trouvés se succèdent en une série de strates sémantiquement chargées par leur matérialité même. L’artiste n’hésite pas à y intervenir avec force, par incision, grattage ou superposition. « Je travaille, disait-il en 1991, par contradictions. Toujours. Ce que je pense est une chose, ce que je fais en est la suite et non pas son application. J’essaie de susciter quelque chose d’imprévu, c’est ça qui me donne l’énergie de me surprendre moi-même2. » Aujourd’hui encore, cette dynamique perpétuelle, cette spirale créative infinie s’impriment en filigrane dans chacune de ses œuvres, leitmotiv fondamental de l’ADN de ce peintre-graveur.

Comment choisir ?

Quand je lui demande comment s’est opérée la sélection des œuvres pour cette rétrospective, et pourquoi avoir choisi l’année 1985 comme point d’ancrage, Marc Garneau répond sans hésiter : « La période 1982-1984 ayant déjà fait l’objet d’une exposition à la Fondation Molinari au cours de l’automne 2014, Isabelle de Mévius et moi avons pensé qu’il valait mieux commencer en 1985. Rapidement, au début de ma carrière, j’ai pris la décision de garder au moins une œuvre de chaque année, de chaque grande phase de création. Cette idée m’avait été suggérée par Gaucher, et j’y suis resté fidèle. Après 35 ans, j’ai une belle collection Marc Garneau, vous savez ! Et c’est elle qui constitue le cœur de l’exposition rétrospective, avec trois ou quatre tableaux d’institutions publiques (Musée national des beaux-arts du Québec, Musée d’art contemporain de Montréal et Galerie de l’Université de Sherbrooke). Je pourrais ainsi la monter à nouveau dans un autre lieu, puisque c’est ma collection. L’Université de Sherbrooke pourrait être intéressée… qui sait jusqu’où cette plongée dans les affres de mon œuvre mènera ? »

On en jugera en allant visiter l’exposition au 1700 La Poste. 

(1) Isabelle de Mévius, mécène et fondatrice du 1700 La Poste.

(2) Propos relaté dans Sylvie Royer, « Marc Garneau à la galerie Madeleine Lacerte. Un peintre qui réinvente la roue à chaque tableau », Le Soleil, 30 mars 1991, p. D8-D9.

Marc Garneau : Une trajectoire
1700 La Poste 1700, Montréal
Du 16 octobre au 20 décembre 2015