Marie Côté est céramiste, son savoir-faire est d’abord celui des potiers. Et de fait, beaucoup de ses pièces sont façonnées sur le tour. Une motte d’argile humide préalablement posée sur un carreau de céramique placé au centre du tour en mouvement. L’œuvre commence. Élever la matière et simultanément y loger un vide en édifiant une paroi. Jeu des mains. Synchronie du geste avec le mouvement du tour transmis à la terre humidifiée si nécessaire. Une forme s’érige faite d’un seul et unique bord qui glisse entre les doigts à la vitesse du tour. L’élever, l’évaser, au gré du désir. Harmoniser le toucher et la vue, l’un pour juger de l’épaisseur de la paroi ; l’autre pour juger du vide qu’elle enserre. L’un pas sans l’autre, au risque que tout s’affaisse. Qu’un bord soutienne un vide, à la limite de la possibilité matérielle, naturelle, physique, de l’argile, et l’œuvre devient possible. Un bord édifié pour un vide désiré, ou peut-être le contraire. L’un pas sans l’autre. L’un passe en l’autre.

Sculpture du creux, façonnage de l’évidement.
Dans l’œuvre de Marie Côté, pas de forme sans
qu’un vide s’y concrétise tout autant que la forme qui semble le dessiner.

L’un passe en l’autre sans que ni l’un ni l’autre ne se confondent ni ne s’amalgament. Encore faut-il qu’au passage, on prenne acte de l’altérité ambiante, simul­tanément du point de vue de l’un et du point de vue de l’autre. Mais aujourd’hui, force est de constater que seule la saillie compte. Rien n’y fait. Silence total sur les vides. On n’entend que l’éloquence du discours de la forme. Rien sur l’autre de la forme. Le vide, le creux, l’évidement, le creusement, l’invagination comme telle, la formation du vide pour le vide en lui-même seront réduits à un artisanat du réceptacle. Poterie, pot, vase, amphore, bol. Rien n’y fera. C’est le règne de la fonction du plein, du remplissage, de la décharge d’un contenu dans un contenant, auquel sont soumis vides, creux, cavités, évidements, creusures. Les vides ne se comprenant que comme ce qui est en attente d’être rempli, comblé, pénétré, garni, satisfait. Modèle délirant. C’est à lui que Marie Côté ne cesse pas de résister.

Sculpture du creux, façonnage de l’évidement. Dans l’œuvre de Marie Côté, pas de forme sans qu’un vide s’y concrétise tout autant que la forme qui semble le dessiner. Faire, c’est restituer sa matérialité à cette différence sans différends entre vide et plein, entre l’un et l’autre, entre ce que nous ne savons pas de l’autre et ce qu’il ne sait pas de nous. Différence sans frontières. Différence d’autant plus audible que les différends se taisent.

Pas de frontières, mais des différences. Pas de douanes pour distinguer l’un de l’autre, mais une sensibilité de l’un pour l’autre. Pas d’assimilation de l’un par l’autre, mais un entremêlement, un tressage, de l’un à l’autre, indéfiniment.

Pour l’exprimer, pour le dire, Marie Côté ne cessera pas d’adjoindre, l’un à l’autre, le plein et le vide, la consistance matérielle de la matière et l’inconsistance immatérielle de la lumière, du son, de l’air, de l’eau. Son œuvre ne cesse pas d’exprimer cette substitution des frontières, quelles qu’elles soient, par des franges, des porosités, des invaginations, des tresses, qui ne dissolvent pas l’altérité.


Marie Côté, Contours, détours et détournements
Commissaire : Marie Perrault
Maison des arts de Laval
Du 1er mai au 17 juillet 2015

L’article reprend la préface du catalogue L’usage et la contemplation, avec l’aimable autorisation de son auteure Marie Perrault.