Mariette Rousseau-Vermette et Claude Vermette. Précurseurs
Précurseurs, Mariette Rousseau-Vermette et Claude Vermette l’ont été à maints égards : ils ont donné valeur d’art, respectivement, à la tapisserie et à la céramique dans des
œuvres monumentales qui ont investi le domaine public. Leurs audaces les classent comme des artisans de la modernité.
« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. » Cette phrase d’une des plus belles chansons de Charles Aznavour pourrait s’appliquer à l’histoire de ce « couple mythique » que formaient Mariette Rousseau-Vermette et Claude Vermette. De quel temps s’agit-il? Rien de moins que celui qui marque l’entrée du Québec dans la modernité. Le sous-titre de l’exposition, Artisans de la modernité, indique clairement le rôle majeur que l’un et l’autre ont joué à cette époque cruciale, Claude dans le domaine de la céramique et Mariette dans celui de la tapisserie. La vie du couple se déroulait à la maison, mais chacun avait son
atelier et sa carrière artistique indépendante. L’un comme l’autre ont donné ses lettres de noblesse à un médium qui était alors associé à l’artisanat.
Mariette Rousseau-Vermette
Il est indéniable pourtant que l’artisanat est à la base du travail de Mariette Rousseau-Vermette, qui a reçu de son père en cadeau, à l’âge de 12 ans, un métier à tisser analogue à ceux que les femmes utilisaient à la campagne. Elle restera d’ailleurs fidèle toute sa vie à la basse lisse. Le féminisme, dont les débuts ont coïncidé avec la Révolution tranquille, voulait réhabiliter le travail traditionnel féminin. Mariette Rousseau-Vermette a commencé à être connue pour ses cravates tissées. Elle réalise ensuite des tapisseries à partir de cartons d’artistes. Rencontre totémique à Chilkat a été exécutée avec des laines texturées de couleur vive d’après un carton de Fernand Leduc. Le caractère brut de ce matériau vient tempérer la rigueur du formalisme en créant une vibration entre les formes. Cette « œuvre à quatre mains » reçoit un prix aux Concours artistiques de la province de Québec dans la section « arts décoratifs » en 1957.
L’artiste poursuivra ce type de collaboration avec d’autres peintres avant de créer elle-même ses cartons. Vers la fin des années 1950, elle utilise uniquement les couleurs naturelles des laines de mouton. La très grande tapisserie intitulée Hiver,
qui couvre entièrement l’un des murs du Musée, est composée de bandes verticales dans des tons de brun, de gris et de beige. Cette œuvre que Mariette Rousseau-Vermette est invitée à exposer à la première Biennale de la tapisserie à Lausanne, en 1962, marque le début de sa carrière internationale. La découverte de la peinture de Rothko en Italie provoque une pro-
fonde modification dans la palette de l’artiste. La magnifique tapisserie Rose, Rose, Rose de 1982 donne une bonne idée de la manière dont elle manifeste son admiration pour ce maître de
l’abstraction. Elle multiplie les recherches, emploie la laine grattée qui donne une texture très tactile et fait des expérimentations avec l’ajout de différents matériaux, parmi lesquels il faut citer la fibre optique. Les commandes affluent, en particulier pour les rideaux de scène.
Claude Vermette
Le trajet artistique de Claude Vermette est parallèle à celui de sa compagne, qui était de six ans son aînée. Il s’initie à la peinture et à la céramique dans l’atelier de Frère Jérôme, rencontre Fernand Leduc et participe en 1946 aux côtés des Automatistes à l’exposition annuelle de la Société d’art contemporain, alors qu’il n’a que 15 ans. Passionné par la céramique, il voyage dans différents pays d’Europe pour se perfectionner dans cette discipline. Il crée des pièces uniques, comme des vases, des pots et des assiettes. De riches particuliers lui commandent aussi des œuvres murales. Le beau relief intitulé L’oiseau d’or (1968), à l’indéniable charme art déco, en est un bon exemple. Mais ce sont ses rencontres avec des architectes connus qui lui font entrevoir la possibilité de faire des installations monumentales. Ainsi, en 1953, il décore la chapelle du séminaire de Chicoutimi avec 53 000 carreaux de céramique réalisés à la main. À partir de 1955, il travaille avec Mousseau. C’est au duo d’artistes qu’est confié l’aménagement du restaurant municipal du lac aux Castors. On peut voir encore aujourd’hui cette grande murale, parfaitement restaurée en 2006. « Le modèle québécois d’intégration de l’art à l’architecture était né. » Claude Vermette est invité à exposer à San Francisco. Sa carrière est désor-
mais internationale. Pendant presque une trentaine d’années, le duo Vermette-Mousseau décore avec des œuvres murales une douzaine de stations de métro.
Sortir de l’oubli
Les visiteurs seront sans doute frappés de constater à quel point la tapisserie intitulée Printemps (1961) ressemble à la murale de
céramique de la station de métro Berri-UQAM. Ce sont presque les mêmes couleurs, les mêmes vibrations qui sont rendues avec des médiums différents. Le catalogue permet de distinguer les
affinités artistiques qui réunissaient Mariette Rousseau-Vermette et Claude Vermette. La reconnaissance internationale qu’avaient obtenue ces deux artistes a fait en sorte que la société québécoise, qui voulait manifester sa modernité,
a propulsé leurs œuvres dans l’espace public. Mais après leur mort, ils sont tombés dans un relatif oubli, comme c’est souvent le cas pour les artistes qui ont eu une grande reconnaissance
sociale de leur vivant. Jacques Saint-Gelais Tremblay, qui dirige le Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul, a chargé Richard Purdy, en collaboration avec le commissaire René Viau, de sortir le couple du purgatoire. Les photographes du groupe After Life (l’Outre-vie) dirigé par Raymonde April se sont attachés à faire revivre ces deux artistes. Le visiteur peut voir, à la mezzanine, les photos prises dans leurs ateliers respectifs, qui sont restés comme s’ils venaient de les quitter. La vie posthume de Mariette Rousseau-Vermette et Claude Vermette a déjà commencé.
Les passages entre guillemets sont des citations extraites du catalogue écrit par René Viau.
MARIETTE ROUSSEAU-VERMETTE ET CLAUDE VERMETTE. ATELIERS CROISÉS. ARTISANS DE LA MODERNITÉ
Commissaire: René Viau
Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
Du 20 juin au 12 octobre 2015