Maryse Goudreau à Carleton-sur-Mer ou la dissolution du réel
La photographie est le point de départ du travail de Maryse Goudreau, jeune artiste gaspésienne, point à partir duquel il prolifère ensuite en une multitude de formes : performance, installation, livre, vidéo…
Maryse Goudreau s’est notamment fait remarquer pour son travail consacré aux situations que provoque la fermeture en série des quais portuaires en Gaspésie, sur la Côte Nord et un peu partout dans les provinces Maritimes. L’effondrement des stocks de poissons, entre autres, mène à l’abandon des infrastructures qui, il n’y a pas si longtemps, constituaient le cœur même de la vie économique des communautés côtières. La mise sous cadenas des quais représente à la fois le résultat et le symbole d’une transformation si radicale de la vie économique, de l’environnement des relations sociales qu’elle remet en cause de façon dramatique les identités locales.
C’est cette transformation que Maryse Goudreau a cherché à explorer en mettant en évidence en premier lieu, auprès des communautés concernées, le silence qui cache, selon elle, un profond malaise. Elle a donc conçu diverses interventions autour de ce thème. Elle a notamment invité les membres des collectivités de quelques-unes des municipalités touchées à se réunir sur leur quai, et elle a pris des clichés de la foule assemblée. Ses tirages sont réalisés selon le procédé au collodion humide, datant du XIXe siècle. Il exige des sujets qu’ils demeurent immobiles 15 secondes. Pour Maryse Goudreau, cet instant marque l’essence de son action plus que la photo qui en résulte (bien que l’objet soit aussi très riche de sens). Les gens se trouvent en effet réunis en silence et figés en un rituel inventé pour l’occasion, autour du symbole d’une époque qui se termine et d’un avenir à inventer.
Habituée des Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie, Maryse Goudreau y présentait cette année, dans un conteneur aménagé, une installation vidéo en plein air sur la plage de Carleton-sur-Mer. Le spectateur pouvait y voir la projection d’une image statique et décolorée, celle d’un théâtre tout en dorures et velours cramoisi, sur la scène duquel un segment vidéo présente en boucle la fumée rouge d’un appel à l’aide masquant partiellement un paysage de mer et de ciel. L’œuvre, toute simple, est efficace. Il y a quelque chose de grinçant dans le contraste entre, d’une part, la situation dramatique et urgente évoquée par le signal de détresse et, d’autre part, le théâtre qui lui sert de cadre et qui évoque l’univers du spectacle : mondain, codé, lieu par excellence de l’artificiel, des artifices, du divertissement. Le dispositif peut évoquer un gros téléviseur, mais il pourrait aussi faire penser à un parlement ; il s’agit de lieux où la réalité, avec ses urgences et ses drames, risque de se dissoudre en images, en discours, en spectacle. Comme dans les actions précédentes de l’artiste, l’œuvre parle de la disparition des quais, d’une crise environnementale et sociale, de la dégradation des océans et des rapports que tout un chacun entretient avec cette situation. D’une façon plus large, elle parle de notre société, du décalage des perceptions à l’égard de ce qui est réel, dans une poésie simple, presque minimaliste, ouverte et assez percutante.
DIAPOSITIVE VOLATILE ET AUTRES TROUBLES
Rencontres internationales de la photographie en Gaspésie, Carleton-sur-Mer
De mi-juillet à mi-septembre 2014
LA MÉMOIRE EST UNE ARME / MEMORY IS A WEAPON
Maison de la culture Maisonneuve, Montréal
Du 4 septembre au 12 octobre 2014