Mathieu Lacroix : un jeu d’assemblage et de détournement de signes
Pour sa première exposition individuelle, l’artiste Mathieu Lacroix nous offre une intéressante synthèse de sa pratique et de sa réflexion plastique à travers un fascinant jeu de pistes et de signes se déployant au sein de la galerie McBride Contemporain, à Montréal.
Artiste multidisciplinaire touchant au dessin, à l’installation ainsi qu’à la performance, Lacroix a construit un univers esthétique où se croisent des références et des influences variées. Le titre de l’exposition est d’ailleurs révélateur de cet assemblage de différents éléments qui constituent un même objet. Un jeu d’observation prend alors forme.
La disposition des œuvres ainsi que l’atmosphère épurée de la galerie, en plus de la présence de croquis sur du papier blanc et ocre, rappellent à première vue une exposition d’architecture. Par l’organisation des formes géométriques et des rythmes de couleurs qui le composent, mêlant des tons neutres agrémentés de touches plus contrastées, le corpus évoque des mouvements de l’art moderne de la première partie du XXe siècle comme le constructivisme, le suprématisme russe ou encore le dadaïsme. Pourtant, à y regarder de plus près, les structures réalisées défient les règles de la logique et de la gravité en présentant plusieurs angles de vue de manière simultanée.
Si nous portons plus attention, d’autres éléments s’inscrivent sur nos rétines. Des figures anonymes, des ombres ou encore des silhouettes stylisées occupent les espaces croqués par Lacroix. Leur posture rappelle celle des mannequins ou acteurs qui peuplent les magazines et les journaux. Ici, les corps signifient l’action et le dynamisme (par exemple, la course) ou, au contraire, le repos ou l’attente. On reconnaît, dans ce jeu d’assemblage créé à partir d’une banque d’images, une référence à Marcel Duchamp. Cependant, à la différence de l’artiste français, Lacroix sélectionne des objets qui sont des représentations stylisées du quotidien, et les fait sortir de leur fonction première de marketing populaire ou publicitaire. Cet habile détournement au sein des œuvres participe du jeu d’échelle instigué par Lacroix, par lequel les perspectives et les formes sont altérées, ce qui contribue à rendre incongrues les scènes représentées.
En écho au métier de technicien d’exposition de Lacroix, le recyclage et le bricolage (DIY, ou do it yourself) tiennent également une place importante dans le choix des médiums utilisés dans les œuvres. Qu’il utilise un papier recyclé ou qu’il reconvertisse des cadres en bases pour ses boîtes lumineuses artisanales, l’artiste reconfigure la fonction originale des matériaux dans leur nouvelle application dans l’espace. Ainsi une feuille froissée destinée à être jetée à la poubelle est plutôt lissée et disposée de manière élégante et aérienne, comme touchant à peine les murs blancs de la galerie, tout en gardant une trace de sa vie antérieure.
Pour l’artiste, l’art et la vie s’entremêlent1. Il est donc tout à fait logique qu’il effectue un aller-retour entre sa pratique artistique et sa pratique professionnelle, et qu’il traduise, dans ses œuvres, ce double regard.
Tel un magicien, Lacroix joue avec notre perception au sein même de l’espace d’exposition. L’exemple le plus édifiant est celui de l’œuvre Corpocène (2021), qui possède une structure en deux parties. Pliée en deux, l’œuvre force le ou la spectateur·rice à se déplacer pour l’appréhender pleinement. L’artiste va plus loin dans son propos et y ajoute un petit trait d’humour en détournant un signe de douche oculaire, renversé à quatre-vingt-dix degrés. Ouvrir l’œil est nécessaire pour découvrir les indices disséminés dans l’espace de la galerie. L’expérience de l’exposition est significative, principalement en raison du dialogue (matériel et formel) que les œuvres entretiennent entre elles. Des dessins in situ tracés légèrement au crayon de bois sur un des murs peuvent nous surprendre par leur présence discrète, puis apparaître mystérieusement sous nos yeux.
Les expositions de Mathieu Lacroix ne sont pas à visiter au pas de charge, car, pour saisir le raffinement et les réflexions de l’artiste, il faut accepter de ralentir et de laisser le charme opérer. À travers son langage visuel riche, diversifié et parfois même paradoxal, Lacroix nous encourage, par de nombreux détournements, à interroger les codes et à appréhender la réalité contemporaine avec plus de calme et de profondeur.
(Exposition)
Parties composantes
Mathieu Lacroix
McBride Contemporain, Montréal
Du 24 février au 8 avril 2023
1 Je paraphrase les propos de l’artiste recueillis par courriel le 12 juillet 2023.