Matisse – Classe de maître
Si nous sommes familiers avec les séries consacrées par Monet aux Peupliers, aux Meules, aux Nymphéas, nous savons moins que les Paires et Séries de Matisse procèdent aussi d’une intention délibérée, qui n’a certes plus rien à voir avec les variations météorologiques de la lumière.
Intitulé Paires et séries au Centre Pompidou au printemps 2012, le regroupement des toiles démontre qu’à l’époque cubiste Matisse composait simultanément, systématiquement dans des formats similaires, deux tableaux sur le même sujet, l’un figuratif descendant de sa période fauve post- impressionniste, l’autre « abstractivé » comme une épure, réduit à l’essentiel de la structure (Vue de Notre-Dame, printemps 1914). L’ordre chronologique de leur réalisation ne va pas nécessairement du plus descriptif au plus abstrait, selon l’ordre linéaire imposé par la conception moderniste des années 1950. L’exemple magistral a contrario en est le duo composé à Issy-les-Moulineaux par La leçon de piano (été 1916) et La leçon de musique (printemps 1917), la première dépouillée comme le battement du métronome qui rythme les lignes diagonales, la seconde toile habitée par six personnages, toute en courbes sensuelles, harmonieuse comme la partition de Haydn (posée sur le piano). Malheureusement, ce chef-d’œuvre de la Fondation Barnes n’a pas pu voyager. L’ordre va de même en 1936 à Nice, de l’esquisse conceptuelle (Nu dans un fauteuil, 3-5 novembre) au nu charnel (Femme nue drapée, 6-7 novembre).
De l’un à l’autre tableau en dialogue, le point de vue se révèle légèrement décalé, le champ de vision rétréci autour d’un point focal (le bocal de poissons rouges), la pose du modèle légèrement modifiée, comme un photographe en quête du bon angle. Un gros plan sur les motifs graphiques privilégie le textile, ou la potiche, tel bouquet d’anémones, la conque marine, plutôt que la personne, tous également sujets à peindre. L’artiste cherche l’image superlative, celle qui traduit l’essentiel de l’ambiance et du mouvement dans la plus grande spontanéité (durement acquise) de la ligne. Elle synthétise perspectives, plan rabattu, alternance des couleurs, éléments arrimés au support par les arabesques noires d’une balustrade ou d’une broderie roumaine, selon les seuls impératifs de la peinture.
À partir des années 1920, les paires ne sont pas toujours réalisées simultanément, puis dix ans plus tard, elles se multiplient en séries, Matisse réinterprétant ses tableaux de jeunesse. La comparaison avec la caméra n’est pas fortuite. Ses œuvres expérimentales, les plus longuement travaillées, Matisse en photographie les états successifs autour de quatre thèmes centraux en 1940-1941 : La Blouse roumaine, Le Rêve, un coquillage et une branche de magnolia, clichés exposés ici comme ils l’ont été à la Galerie Maeght en 1945. Les variations au fusain et à la plume sont si nombreuses qu’on passe de la photo au cinéma d’animation, au cinétisme de la ligne en mouvement, au plus près du corps et de la vie. Il en va de même avec la suite des grands Nu bleu en papier gouaché découpé qui clôt la visite, technique mise au point pour le projet décoratif de La Danse commandité par Barnes (1931-1932) : de l’importance des vrais mécènes !
Cette exposition intelligente apporte beaucoup à la réflexion sur l’art et son histoire, ainsi qu’un délicieux plaisir.
MATISSE PAIRES ET SÉRIES
Commissaire : Cécile Debray
Centre Pompidou, Paris
Du 7 mars au 18 juin 2012
Statens Museum for Kunst, Copenhague
Du 14 juillet au 28 octobre 2012
Metropolitan Museum of Art, New York
Du 4 décembre 2012 au 17 mars 2013