Après avoir exploré le potentiel esthétique de l’espace urbain en décrépitude avec des séries telles Chelsea Decon, Matt Killen poursuit sa recherche sur le thème de l’entropie. Il s’inspire d’amoncellements de déchets provenant de chantiers de construction, et notamment de ceux des travaux de rénovation de sa propre résidence, à Toronto. Des décombres ont surgi les œuvres de la série Natures Mortes. Douze d’entre elles ont été présentées à la Galerie Dominique Bouffard.

Au commencement de l’œuvre, il y a la ruine1. Puisant dans la destruction une riche materia prima, l’artiste s’attache à en dégager l’essentiel. Les structures de ses compositions traduisent son souci de rendre avec justesse le désordre de points de fuite dans l’espace, le brouillage de la perspective et indirectement celui des sens. Vestiges met en relief la fracture entre la forme et le contenu, la réalité et l’abstraction et jette les bases, chez l’artiste, d’une évolution qui se cristallise autour du tableau Ice Age.

Toile charnière parce qu’elle fait la synthèse des expérimentations picturales actuelles du peintre sur l’espace, la transparence et l’abstraction, Ice Age confère également à la composition strates-silhouette-espace négatif une dimension plus intuitive, voire onirique.

Les structures de ses compositions traduisent son souci de rendre avec justesse le désordre de points de fuite dans l’espace, le brouillage de la perspective et indirectement celui des sens.

Processus de création et évolution

L’artiste n’a pas recours à la manipulation numérique de façon systématique. Elle ne constitue pour lui, avec la photographie, qu’un « vocabulaire secondaire ». Autre référant secondaire, le cadre graphique (Rad et Pink Twig), langage visuel bien de son temps à l’ère Photoshop, s’inscrit désormais en filigrane quand il n’a pas complètement disparu.

Matt Killen explore les effets de transparence, peignant de plus en plus « maigre ». La peinture à l’huile diluée – son médium de prédilection –, appliquée en fine couche, offre une saisissante part d’imprévu. Les coulées de peinture, dont on perçoit nettement les traces dans certains tableaux, brouillent l’image et invitent le regardeur à déplacer son attention vers un lointain ailleurs. Enfin, en jouant sur l’absence de couleurs, l’espace négatif peint en blanc par l’artiste confère à Margarita une forme épurée.

Rompu au noir et blanc, mais aussi coloriste audacieux, l’artiste propose une palette de couleurs et des tonalités surprenantes, comme en témoignent les verts saisissants de Pogo ainsi que la juxtaposition et la superposition ludique des contrastes, notamment le vert anis et le rose bonbon, ou encore ses camaïeux dans les tons de bleu ou de rose. À la fois vibrante et douce, la couleur nimbe Vestiges d’une aura paradoxalement séduisante.

Il existe une communauté d’esprit (du moins dans la théorie) entre la démarche de Matt Killen et celles d’artistes du Land Art. Comme eux, il explore de nouveaux espaces et s’interroge sur son environnement. Land Art ou pas, on sent chez Matt Killen, la volonté de réhabiliter, voire de sublimer la ruine pour avoir choisi de l’intégrer dans sa création.


Matt Killen, Vestiges
Galerie Dominique Bouffard, Montréal
Du 30 mars au 1er mai 2011

(1) Mémoires d’aveugle : l’autoportrait et autres ruines, Jacques Derrida, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 1990