Michel Morin laisse des instants fixés dans la peinture. Ces jalons de l’espace-temps qu’il a parcouru restent et constituent les preuves visibles de la spontanéité, de l’immédiateté qui les a forgées. L’ardeur et la persévérance sont inscrites dans toutes ces traces peintes et dessinées. Hommage posthume à Michel Morin, peintre les ordonne en une longue séquence qui expose les résultats de sa féconde démarche. L’œuvre est individuelle, mais l’héritage pictural considérable qu’elle constitue est collectif. Tel est le message que Monique Renaud a rendu public le 28 septembre 2011, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur, à Montréal.

Les œuvres exposées témoignent, par la variété des formats et des techniques, de l’engagement de l’artiste envers son médium principal : la peinture. Les influences du Français Soulages et de l’Espagnol Tapiès sont frappantes dans certaines œuvres de ce corpus qui couvre la carrière de l’artiste qui s’étend de 1962 (L’enjeu rétrograde) et 2011 (Sans titre, une série de dessins en techniques mixtes sur papier). La démarche s’échelonne sur près de cinquante ans. Une telle longévité créative se retrouve rarement dans les diffusions actuelles : il importe de la souligner.

Les quarante et une créations, distribuées sur deux étages, attestent une approche lyrique et gestuelle de la peinture. À la mezzanine, trois sérigraphies réalisées en 1973 (Pyjama prussique, 2/15, Lilliput interstellaire, 1/25 et Suite n° 5, 6/9) ressortent par leur complexité et la pureté de leurs couleurs, tandis que la plupart des autres compositions exploitent surtout la variation de la tonalité. Le vert et le bleu dominent et, au fil du temps, les couleurs pures ont cédé une bonne quantité des espaces picturaux aux chromatismes sombres ou clairs, parfois soigneusement dégradés, de teintes moins saturées.

Des grands formats, s’apparentant aux œuvres gigantesques que les artistes de la vague du pop art ont réalisées, dans les années 1970, pour affirmer l’ampleur de l’idéal américain, aux plus petites images produites par les procédés de l’estampe et dessinées au fusain ; des bois gravés explorant le traitement du support et les surfaces d’aspect métallique aux techniques mixtes sur toile ou sur papier, toutes les compositions exposent l’intensité de la recherche de Michel Morin et confirment la justesse du choix, fait par l’artiste, préférant mener sa quête artistique par l’image, lui qui aurait pu chanter et exprimer toute la gamme de ses émotions par la musique1.

À première vue, cette démarche explore la planéité et l’utilisation gestuelle de la matière dans le style de l’abstraction lyrique dont Borduas et Riopelle sont d’illustres figures. La plupart des surfaces sont riches en textures, et les empâtements abondants résultent de mouvements amples et de l’application généreuse de la matière avec une large brosse. Par contre, la ligne d’horizon subdivisant le plan principal incite à une lecture plus figurative et, bien que la majorité des pièces soit identifiée Sans titre, les rares intitulés confirment cette interprétation. Nombreux sont les tableaux qui contiennent une récurrence formelle : la juxtaposition du cercle et de la ligne horizontale. Ce motif résume l’essentiel des récits paysagers, en ocre, en vert, en bleu et, de temps en temps, en rouge.

À la belle étoile (1990), réalisée en techniques mixtes sur toile de grand format (173 x 173 cm), représente la nature d’une manière minimaliste. L’azur de la partie supérieure est juxtaposé à l’indigo de la section centrale ; le plan inférieur, dont le vert résulte de l’ajout d’un jaune transparent sur le bleu foncé, suggère le sol. Les trois plans construisent ensemble un paysage nocturne. Des sgrafitte (de l’italien « égratigné ») rythment la surface de verticales d’un rouge vif : ces stries rendent visible l’épaisseur de la matière. Aligné sous la limite du ciel, un demi-cercle blanc ivoire apporte sa clarté tel un astre diffusant sa lumière. Les tons foncés dominent cette image de même que la plupart des œuvres. De la terre à la lune poursuit l’exploration de la thématique nocturne ; les deux organisations sont d’ailleurs perçues comme un diptyque, dans lequel un fort contraste oppose l’envahissante obscurité à la douce luminosité de tons clairs.

Michel Morin mixe un univers pictural particulier dans lequel le geste est apparent, parfois délicat, parfois agressif. La matière, le plus souvent abondante, est, par endroits, violemment raclée jusqu’au support, son traitement affirme la prédominance de la planéité sur l’illusion. Et lorsque la brutalité s’exprime dans un traitement de la matière peinte et d’un support, l’œuvre très expressive est intrinsèquement écologique.

Parce qu’il s’agit d’une présentation posthume, l’exposition interpelle intimement l’humain conscient de sa finalité. Faisant écho au regard externe, une introspection émerge et porte l’attention vers le paysage intérieur où la résonance des œuvres se prolonge selon la capacité de réception propre à chacun des spectateurs.

Considérant la disparition récente de l’artiste, l’exposition Hommage posthume à Michel Morin, peintre tenue à la Chapelle historique du Bon-Pasteur redouble de sens et de pertinence, et légitime la question : la collection sera-t-elle accessible dans les lieux qui lui soient propres ? Qu’adviendra-t-il de ce dialogue entre le cercle et la ligne, de ce chant d’un horizon pour son astre ? Un tel patrimoine artistique doit être conservé. La reconnaissance de la contribution de Michel Morin à la peinture incombe dorénavant à ceux qui restent.

HOMMAGE POSTHUME À MICHEL MORIN, PEINTRE
Œuvres sur papier, sur toile et bois gravés
La Chapelle historique du Bon-Pasteur
Maison de la musique
100, rue Sherbrooke Est, Montréal
Tél. : 514 872-5338
Du 28 septembre au 6 novembre 2011

(1) Renaud M. (2011). Morin le peintre, texte de présentation de l’exposition.