Michèle Tremblay-Gillon
L’en-dessous admirable
Quiconque regarde les œuvres sur papier qui composent les Histoires naturelles de Michèle Tremblay-Gillon jurerait que sous ses yeux s’étalent des dessins réalisés au crayon ou au fusain teintés de couleurs dans des dominantes de noir et de brun. Erreur : il s’agit de photographies. L’illusion tient certes un peu à la trame du papier chiffon (100 % coton) des tirages, au temps d’exposition réglé par l’obturateur, à la lumière captée par l’objectif et, bien sûr, aux grains des étendues de sable qui sont les sujets des œuvres.
L’artiste reconnaît entretenir une certaine accointance avec le procédé de l’aquatinte, technique de gravure, encore appelée manière noire, qui consiste à reproduire des images non à partir d’une plaque lisse, mais à partir de la surface poudreuse noircie de la plaque et, en l’éclaircissant, d’aller ainsi de la nuit vers la lumière. En l’occurrence, Michèle Tremblay-Gillon témoigne de la nuit du temps (un passé géologique de deux milliards d’années) dont elle exalte avec ses millions de pixels les éclats lumineux du sol aujourd’hui battu par les marées le long de la Côte-Nord du Québec.
Déjà-là
L’effet visuel velouté, rugueux, miroitant provient donc du traitement numérique des clichés. Simplement, l’artiste se souvient que ces types de nuances très sensuelles et très organiques qu’elle obtient tirent leur origine des techniques premières que sont le dessin et l’estampe. Elle en reprend les richesses et y ajoute la sensibilité nouvelle, et plus aiguë peut-être, que permettent les technologies actuelles de reproduction d’images.
Les tableaux qui résultent des tirages de Michèle Tremblay-Gillon se rangent dans la catégorie des abstractions. Il est certes possible d’y déceler parfois des formes reconnaissables : troncs d’arbres, ombres de personnages… Cependant, les images les plus énigmatiques et les plus vertigineuses semblent avoir été prises par l’artiste à bord d’un véhicule (train, avion supersonique) animé d’une très grande vitesse. Elle déclare pourtant avoir fait ses photos après de longues observations en se promenant sereinement sur les plages et les rivages où prédominent des sables de granit et de poudre de fer propres à la Côte-Nord. C’est vrai. Il n’en demeure pas moins que ses images semblent avoir été tracées par une main fougueuse emportée par d’inlassables élans. Élans qui se reproduisent sans cesse sans être jamais les mêmes, semblables mais jamais identiques.
Ainsi Michèle Gillon-Tremblay saisit, enregistre et imprime sur papier des moments fugaces et surtout uniques. Il s’agit d’œuvres d’art. Évidemment.
Conférant une pérennité à ce qui s’efface sitôt dessiné par la marée sur le sable, ses épreuves numériques, comme toute œuvre d’art, gagnent la propriété de prétendre, à leur tour, à la pérennité. Et, surprise, ce n’est pas tant l’arrêt sur image ou l’instant fixé qui suscite l’émotion, mais le sentiment de déjà-là, une sorte d’état antérieur qui n’attendait que la présence de l’artiste pour se manifester.
Michèle Gillon-Tremblay saisit, enregistre et imprime sur papier des moments fugaces et surtout uniques.
Émergence / Résurgence
À ce sujet, Michèle Tremblay-Gillon considère cette singularité comme la résultante d’un mouvement d’émergence-résurgence. L’en-dessous se signale devant les pas des promeneurs. Il gagne l’espace visible. L’artiste assume alors son rôle d’artiste qui consiste à rendre visible… le visible ! Elle le traduit sous divers formats : paysages, portraits, rectangles découpés en hauteur. Elle le transpose sous la forme de diptyques, de triptyques et de polyptiques dont les éléments sont de surfaces inégales. Ces asymétries voulues matérialisent avec élégance et finesse le jeu des interférences issu des déplacements de l’artiste ainsi que des diverses saisons des prises de vue.
La photographe affronte ce quelque chose qui se nomme le réel ; elle l’inscrit sur le papier. Elle en propose une lecture. Car il faut bien voir dans les photographies de Michèle Tremblay-Gillon des pages d’écritures. Amples et vives, brèves et nerveuses, ses lignes et ses innombrables pointillés (l’analogie ici avec le cosmos et ses poussières d’étoiles s’imposerait) courent de gauche à droite et de bas en haut selon les règles de la calligraphie cursive latine.
Écriture ? Alors Histoire ! Alors mémoire !
Mais inscription ou transcription ? Il entre sans doute des deux dans ces Histoires naturelles aux textures scripturales proches parfois de bas-reliefs. Transfiguration de la matière maîtrisée ainsi par la photographie dont, plus que jamais, l’artiste justifie l’étymologie d’écriture lumière.
Notes biographiques
Titulaire de deux maîtrises de l’UQAM, Michèle Tremblay-Gillon se consacre à ses activités de création dans les domaines de la sculpture, de l’installation, de la photographie après avoir été, parallèlement, critique d’art et enseignante. Elle a contribué à la publication de nombreux livres et catalogues. Elle a pris part à plus d’une quarantaine d’expositions collectives et elle compte une dizaine d’expositions individuelles. Elle a réalisé de nombreuses murales et des œuvres intégrées à l’architecture, principalement au Québec, mais aussi en Arabie saoudite. Ses œuvres font partie de collections privées prestigieuses, ainsi que de collections d’établissements publics. L’artiste explore actuellement les formes d’expression photographiques associées aux phénomènes de la nature à la charnière de ce qui est permanent et éphémère.
Michèle Tremblay-Gillon Histoires naturelles
Suites photographiques
mtgillon.artiste@gmail.com