Momenta 2021 – Biennale de l’image : De quelques commentaires subjectifs

MOMENTA « nous presse humblement de considérer la justice environnementale et ses croisements avec la justice sociale en tant que manière de sentir et de ressentir, mais aussi d’analyser et de militer », selon son communiqué de presse. Présidée par Stefanie Hessler, l’équipe de commissariat de cette 17e édition – formée de Camille Georgeson-Usher, Maude Johnson et Himali Singh Soin – résume ainsi son approche valorisant l’affect et la partialité. Cette biennale fait la part belle aux énonciations subjectives dans des récits personnels et des singularités multiples empruntant des voies/voix alternatives. L’abondance des propositions prohibant toute tentative d’exhaustivité, quelques pièces exposées à la galerie de l’UQAM et à VOX – Centre de l’image contemporaine seront ici évoquées.
La sélection intitulée De la Terre (UQAM) ausculte les rapports tendus, voire destructeurs, de l’humain à son environnement, trop souvent perçu comme marchandise « de servitude » inépuisable, ainsi que la manière dont le colonialisme bouleverse l’équilibre des écosystèmes. On y visite le motif du jardin-refuge dans des variantes « aimantes et bienveillantes », tel que précisé dans le catalogue. C’est le cas de Your Body Is the Ocean (2020) de Kama La Mackerel qui fait dialoguer corps, eau et sel marin. Des images filmiques projetées sur une masse saline déposée au sol alternent une étendue d’eau, un terrain rocailleux et la peau satinée de l’artiste trans, queer et racisé-e. Une conversation rituélique engage ce corps et son environnement topographique, invitant à méditer sur la fluidité de l’océan, du sel, mais aussi d’un-e zom-fam (homme-femme ou transgenre en kréole mauricien). Le corps-île/corps-océan ici mis en scène, imprégné de récits poétiques de résistance et de résilience, célèbre des espaces marginaux et convie à une réflexion sur l’insularité postcoloniale.

Habitat 2017 (2017) de Taloi Havini sonde une mine de Bougainville à travers des vues aériennes de territoires ravagés. On y croise Agata, orpailleuse artisanale de cette région dévastée. Contractant les temporalités en conjuguant présent et mémoire de violences passées, ce triptyque aborde les enjeux humains et écologiques de la surexploitation des matières premières alors que, trente ans après la fin des activités extractivistes, la décontamination se fait toujours attendre. Les spoliateurs disparus, les locaux subissent encore les effets collatéraux de leur entreprise destructrice.
S’inspirant de la roseraie, l’installation architecturale Of Roses [how to embody the layers of time] (2021) d’Eve Tagny explore le pouvoir de cette fleur (emblème de la Couronne britannique) et son hybridation. La scénographie de ce jardin botanique reconstitué recourt à la photographie, la vidéo et le vivant pour évoquer l’exploitation végétale, de même que celle du corps-machine des travailleurs horticoles poussés au-delà de leurs limites par l’obsession productiviste. Dans cette œuvre multimédiatique, Tagny met en évidence diverses incarnations, d’hier à aujourd’hui, des structures coloniales à l’œuvre en rosiculture ; ce faisant, elle fait la démonstration des dommages collatéraux provoqués par ce mode d’exploitation, en particulier la perte de savoirs ancestraux qui ont été sacrifiés à l’autel de la performance, tout en dénonçant les effets dévastateurs que ces pratiques ont eus sur un territoire, une population et un environnement fragiles comme un bouton de rose.
La section Futurs ruisselants (VOX) sonde les espaces de coprésence terre-mer en évoquant la relation de l’humain avec la vie marine, de l’algue microscopique aux immenses mammifères. Dans Water Portraits (2019), Carolina Caycedo envisage l’eau comme objet de convoitise capitaliste et comme entité politique. Sur de vastes panneaux textiles ont été imprimées des photographies de chutes et de rivières constituant les portraits abstraits des cours d’eau dont elles portent le nom. Par leurs regroupements, ils dessinent des paysages kaléidoscopiques faisant écho aux hallucinations visuelles expérimentées durant certaines pratiques curatives traditionnelles. La diffraction de l’image traduit l’effacement culturel vécu par les communautés autochtones ; la « décolonisation du regard » ici proposée invite à rectifier notre conception eurocentriste et consumériste de la nature.


L’installation planetary opera in three acts, divided by the currents (2018) de Susanne M. Winterling plonge le visiteur dans un univers peuplé de créatures microscopiques tanguant au rythme d’une bande-son sous-marine en émettant des rayons provoqués par leur bioluminescence. Témoignant de la santé des milieux qu’ils occupent, ces micro-organismes constituent une source vitale pour nombre d’espèces. Leur efflorescence soudaine traduit le déséquilibre de leur habitat. L’installation exemplifie l’agentivité de la nature à mettre en œuvre une alliance inter-espèces pour pallier la menace. Cette coopération de l’infiniment petit convie à amender nos méthodologies d’intervention sur les biotopes.

Avec Ceux et celles qui écoutent les baleines (2021), Maryse Goudreau examine l’univers de ces mammifères quelque part à la frontière du scientifique, du folklorique et du spirituel. Un cabinet de curiosités marines regroupant ossements, photos, sculptures et objets divers accompagne une vidéo de gens dans des paysages fluviaux. La bande-son – entremêlant commentaires humains, bruits ambiants et chants des baleines – crée un environnement immersif transportant virtuellement le visiteur in situ. S’inspirant de l’animisme, Boudreau implore à « accueillir » les émotions avec compassion et à discerner les pulsations de ces êtres, audibles à qui sait entendre.
La volonté d’ouverture, d’inclusion et de justice émanant de MOMENTA constitue à n’en pas douter un vibrant plaidoyer pour un renouvellement du discours sur les arts. Certaines propositions ici regroupées transcendent l’anecdotique et le personnel, le local et l’idiopathique dans une évidente appétence de dialogue interculturel et interartial ; elles le font par-delà les genres, les nations, les ethnies – si tant est que ces notions soient encore idoines – dont elles sont issues dans des itérations qui regénèrent profondément des pratiques en mutation. Il y a là une belle promesse pour l’avenir.
(Exposition)
De la terre (Galerie de l’UQAM)
Futurs ruisselants (VOX, centre de l’image contemporain)
Carolina Caycedo, Taloi Havini, Tsēmā Igharas, Erin Siddall, Kama La Mackerel, Miriam Simun, Eve Tagny, Jen Bervin, Maryse Goudreau,
Ayesha Hameed, Hamedine Kane, Susan Schuppli, Susanne M. Winterling
Commissaires : Stefanie Hessler, Camille Georgeson-Usher, Maude Johnson et Himali Singh Soin
Momenta biennale de l’image
Du 8 septembre au 24 octobre 2021