Commencée dès 2011, la série des peintures de l’exposition Nature première s’est construite sur un mode d’évolution analogue aux cycles du temps, aux rythmes de l’univers et aux transformations de l’énergie. Articulant une pensée plastique toute proche de la science physique et des grands mouvements de la biosphère et de la noosphère, Muriel Faille rejoint le principe de thermodynamique de Lavoisier dictant que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». C’est entre autres dans ce sillon qu’il faut comprendre sa démarche artistique récente.

Ainsi, on observe une sorte de naturalisation du signe plastique abstrait, produit par pinceau, couteau, spatule ou gouge. Une sorte de réversion /réorientation de l’entreprise moderniste transparaît à partir de ses propres préceptes. La matière picturale d’un système autotélique est ici prise à partie et transformée. La choséité et l’opticalité de la peinture abstraite sont définitivement renversées au profit des effets de présence. Malevitch n’écrivait-il pas : « Au commencement était l’excitation! », signifiant par là que l’appréhension plastique passe d’abord par la sensation. Ainsi, ces œuvres comportant un saisissant caractère d’austérité — elles sont peintes en valeurs de noir, blanc, gris — sont tout le contraire d’une formulation statique, fût-elle animée par la réversibilité des noirs et blancs.

Il s’agit bien ici, toujours, d’édifier la charpente du visible, ses écrans d’apparences mouvantes, pelliculaires sur l’interface du tableau et d’ouvrir la porte sur l’invisible, la porte étant ce passage entre nous et le monde, selon l’idée d’une évolution propre à la cosmogénèse. Il y a urgence à considérer la terre, la planète, le cosmos dont les forces indomptables entraînent l’homme dans un inconnu et font nécessairement muter la notion même de paysage, entre refuge et menace. Urgence d’y méditer dans la plus grande austérité spéculative et philosophique. Urgence d’en trouver les signes premiers, les phénomènes primaires et les forces gigantesques tapies dans le dedans que cache le dehors.

Ainsi, la sensation de l’hiver, thème initial de la série Nature première, produite par des apparences de glaces cristallines, par le souffle des vents
balayant la surface et l’absence de couleurs, se fonde sur les énergies contenues au-dedans, les forces endormies sous l’étoffe terrestre (De l’intime), les puissances embryonnaires vibrant sous les blancs fendus ou les noirs texturés (Les Naissances). De la sorte, un thème traditionnel s’articule sur la recherche de la matérialité vivante. Matière! Énergie!
avons-nous dit? De cela qui nous interroge au plus haut point, on ne saurait médire par le biais d’une abstraction définitoire. Non, car au-delà se trame
l’interrogation essentielle sur l’existence et la vie, le cosmos et la conscience. La question des origines jouxtée à celle d’une destination, sinon d’une destinée, sourd de ces paysages ténébreux ou incandescents. Cette matière peinte, pellicule des films indicibles, d’un chaos élémentaire qui s’efforce à la différenciation, exerce son pouvoir captateur du visible et de l’impénétrable, étalés sur la même nappe d’échanges énergétiques. Si Muriel Faille s’attache au rapport entre pays et paysage, au-delà, on peut y voir, à même le pictural, ce que Teilhard de Chardin appelait une « pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines ».

MURIEL FAILLE NATURE PREMIÈRE
Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul
Du 28 février au 31 mai 2015